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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

d’autre exemple que son drame humoristique assez étrangement intitulé der Bârenhâuter im Salzbade[1], satire dirigée à la fois contre les esprits-forts qui refusent de croire au diable et aux fantômes, et contre ceux-ci qu’il s’efforce de rendre grotesques et risibles. Cette ironie sans levier, si je puis m’exprimer ainsi, qui s’attaque aux phénomènes d’un monde invisible aussi bien qu’aux choses d’ici-bas, a cette conséquence pour le poète qu’elle entraîne la chute de sa rêverie et de son imagination dans le vide. Ces campagnes de l’infini, où germaient tant d’espérances, ont perdu, en s’ouvrant à lui, leur fécondité mystérieuse, et, s’il y plonge encore après tant de pressentimens trompés, tant de splendides illusions déçues, c’est tristement, l’oreille basse, sur l’aile grise et silencieuse de la foi. Or, cette foi résignée, mais incolore, n’ayant plus en elle de quoi parer aux découragemens, aux misères d’ici-bas, comme l’autre militante et fougueuse et qui tenait de l’illuminisme, il en résulte pour le poète une douleur languissante, abstraite, un sentiment de la mort qui se trahit à chaque pas, et couvre, comme un voile de crêpe, toutes les riantes nuances de son printemps. La dernière édition des poésies de Kerner est pleine de pièces de ce genre, de ces lieds moins écrits que sentis où l’ame se soulage : poésie est délivrance. Je citerai encore cette pièce où le poète se compare à un papillon fixé au mur par une épingle qui lui traverse la poitrine.

DEDANS.

« Je vois passer dans l’air une vive et joyeuse volée d’oiseaux libres. Ô ciel ! que n’ai-je un pareil essor ! que n’ai je une pareille existence de voyageur !

« Hélas ! pauvre insecte que je suis ! Cloué à la même place, attaché par une épingle à une case dans le cabinet !

DEHORS.

« Aïe ! aïe ! qui m’a délivré du casier où je dormais ? Oh ! l’épingle ardait profondément, et maintenant voilà mon cœur à nu.

« Lumière rayonnante du soleil, limpide azur du ciel, parfum des fleurs, rosée des fleurs ne font qu’aviver la blessure.

« Remportez-moi dans le casier, attachez-moi plus fort, martyrisez-moi ! Ah ! qu’au moins je puisse enfin mourir !

Cependant, où le poète renonce, il s’en faut que l’homme doive abdiquer. L’homme absorbe en lui le poète, et tend à de plus hautes, à de plus indépendantes fonctions. L’ame, déçue à la fois dans ses

  1. La Peau d’Ours à Salzbad.