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REVUE DES DEUX MONDES.

la polémique des Reiseschatten et poursuit à outrance les partisans absolus de l’utilité pratique en poésie, les plattistes, comme on les appelle en Allemagne. On en jugera par ce dialogue :

PREMIER CRITIQUE.

Toute belle mélodie qui ne sert à rien m’inspire une sainte horreur. Encore si la chanson du pâtre faisait aller un seul moulin dans le vallon !

SECOND CRITIQUE.

Foin du vent qui s’engouffre dans les tuyaux de l’orgue, s’il n’en sort aussitôt pour nettoyer les grains !

TROISIÈME CRITIQUE.

Foin des cloches du soir, si elles ne dispersent les nuages qui menacent la plaine !

QUATRIÈME CRITIQUE.

Foin des statues de marbre, si leur bouche ne me verse pas l’eau, si leurs épaules ne servent d’appui aux bâtimens !

CINQUIÈME CRITIQUE.

Foin surtout à jamais du clair de lune et des étoiles, dont les rayons impuissans ne savent pas fournir le moindre épi de blé !

Cherchez-vous le Wurtembergeois bon vivant que réjouit la mousse du vin nouveau, vous le trouvez encore chez Kerner, dans ses chansons à boire, dans ses Trinklieder, véritables épopées dont la vigne est l’héroïne, le personnage. L’homme grave et spéculatif, dont le regard plonge au-delà de cette vie, a bien pu, sans courir grand risque, s’oublier une fois aux choses de la superficie, d’autant plus qu’il ne s’agissait pas ici de faire rimer treille avec bouteille ou liqueur vermeille, mais d’obéir à cet irrésistible besoin d’animation qui travaille la poésie allemande ; de trouver un sens mystique aux larmes du cep, un effet sympathique à la floraison, de créer entre la plante et son essence, l’ame et le corps, de vivaces et mystérieuses relations, en un mot de céder aux lois imprescriptibles du panthéisme allemand.

« Qui s’exhale ainsi du haut de la montagne jusque dans le fond de la vallée ? — C’est la vigne qui, pourvue de feuilles nouvelles, monte en fleur autour de l’appui.

« Qui se remue dans les entrailles de la maison, dans les cavités du cellier ? — C’est le vin qui dans la tonne dormait déjà depuis long-temps.

« La fleur l’a éveillé, la senteur qui s’exhale du sol natal, tellement que, tout ému de désir à cette heure, il veut faire sauter son ban.

« Amis, nous ne sommes pas des geôliers, apportez-nous les coupes, que le pauvre captif voie la lumière ainsi qu’il le désire tant.