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vante ; la mort elle-même est sans terreur pour l’enfant qui distingue à peine le cadavre des fleurs qui le couvrent, et dont l’œil n’aperçoit pas la fosse sous l’éminence calme et proprette du tombeau.

Justin Kerner, comme Bürger, Uhland, Novalis, Goethe et tous les lyriques de l’Allemagne, puise volontiers aux sources du passé des idées qu’il varie, arrange et complète à sa manière. Si tout a été dit, il y a façon de redire ; en fait de lyrisme surtout, où le sentiment, l’individualité transforme, comme chacun sait, où la nuance décide. Combien d’idées que la tradition met dans l’air à l’état de germe, et que le poète seul fait vivre d’un souffle ! La tradition me représente assez en poésie ce que sont dans la théologie catholique ces limbes où flottent entre le paradis et le purgatoire, c’est-à-dire dans le non-être provisoire, les ames une première fois avortées. Pour ce qui regarde l’invention, ou plutôt le choix des sujets, comme aussi pour l’expression pleine de grace, de foi, de simplicité, les ballades et les romances de Kerner me semblent plus lyriques, plus subjectives, que les ballades et les romances d’Uhland. Le style, par les formules naïves qui s’y rencontrent, les tours de phrase inusités, les vieux mots passés de mode qu’il adopte de préférence, contribue surtout à donner à ces morceaux un caractère gothique, original, qui sied au mieux. Entre les poètes modernes de l’Allemagne, je n’en sais point chez qui cet excellent air de famille, ce trait de l’aïeul se manifeste aussi naturellement[1]. Il faut l’entendre raconter la fondation du cloître de Hirschau. — Sainte Hélicène voit en rêve une coupole merveilleuse et comme flottante dans l’azur du firmament, lorsqu’un ange lui crie du fond du ciel : « Tu vois cet édifice ; eh bien ! c’est à toi, sainte fiancée de Jésus, d’en élever un semblable à l’endroit que t’indiqueront ces trois arbres, d’où s’échappe une source vive. » Dès l’aurore, la sainte se met en campagne avec sa servante. Un parfum de mai embaume la plaine, les oiseaux chantent pour saluer son passage, et les fleurs sentent comme un désir de la suivre. Elle, cependant, avance toujours, et, parvenue au plus haut point de la montagne, finit par découvrir, au sein d’une vallée heureuse et verdoyante, les trois arbres jumeaux et la source. Alors elle descend en toute hâte, et, dépouillant ses habits de fête, sa couronne d’or et ses bracelets d’émeraudes, elle consacre cette place où le monastère s’élèvera. — Il y a dans ce court récit d’une simplicité charmante une

  1. Plus d’une fois les éditeurs du Wunderhorn ont pris le change et donné des fantaisies de son invention pour des morceaux populaires du vieux temps.