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un oiseau dans l’air. Cependant n’ayons garde de voir dans Kerner un paysagiste. La nature, pour lui, n’a rien que de relatif ; il la prend dans son sein, pour la rendre ensuite modifiée à ses sentimens, teinte des nuances de sa pensée, imprégnée des parfums de son ame. De là cette nature si profondément individuelle et pourtant si simple, si vraie. Le vague désir, l’ardeur langoureuse, la Sehnsucht, enfin, puisque l’expression manque dans notre langue pour cette idée tout allemande (au fait nous disons bien l’humour), la Sehnsucht insaisissable s’incarne, elle et son sujet, dans les images de la nature, et le soleil et la lune, dépouillant toute réalité absolue, n’existent, pour la plupart du temps, aux yeux du poète, qu’à l’état de moteurs des sentimens qui l’affectent. Il réfléchit en lui pour mieux extraire, il aspire et respire avant de chanter, et l’objet tel qu’il le contemple a passé déjà par une période de subjectivité.

« Le matin vient avec un gai salut, la nature commence sa fête ; plus d’un encore, avec un baiser de flamme, presse sur son cœur quelque objet chéri.

« Mais moi, errant, abandonné, il me pousse à travers flots et campagnes, et ce que, dans mon ame, je voudrais saisir, ni la lune ni le soleil ne l’amènent.

« Je le vois s’épanouir dans les fleurs, je l’entends dans le chant du rossignol, je le vois, d’en bas, du vallon, filer doucement, en silence avec les étoiles.

« Hélas ! vainement mes yeux en larmes le cherchent vers le ciel ; inassouvi dans son angoisse ardente, ce cœur embrasé meurt au loin. »

Ce dernier lied et ceux qui précèdent peuvent donner une idée du motif qui revient dans presque tous les chants de Justin Kerner. Nous remarquerons encore, dans ce genre de mélodieuse sentimentalité, la Solitude, la Dernière Consolation, et surtout la pièce intitulée Sehnsucht.

Autre part cette indéfinissable disposition de l’ame, sans changer d’expression, varie un peu de gamme. Vous diriez alors le mal du pays dans ce qu’il a de plus mélancolique et de plus vague. Tantôt c’est un regard suprême de regret et de douleur que l’ame laisse tomber sur les collines terrestres, tantôt une extatique aspiration vers l’infini, vers la patrie éternelle, au-delà des astres. La pièce suivante, une de celles qui, à mon sens, caractérisent le mieux la poésie du lyrique souabe reproduit, sous une forme originale, cette transposition qu’il affectionne du monde intérieur dans le monde extérieur et vice versa. Le cor des Alpes est ici une voix mystérieuse qui