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voulu rompre leur voix à tous les styles, finissent par ne plus savoir si elles ont perdu un ton ou gagné vingt nuances.

Tout en reconnaissant les avantages attachés à ce lyrisme qui se concentre dans un seul mode, une seule tonalité, il convient néanmoins de dire que ses produits ne sauraient correspondre à toutes les dispositions de l’ame ; et si la muse lyrique de Goethe en a pour le caractère et l’humeur de chacun, de telle sorte que l’individualité la plus distincte peut se composer un Goethe relatif, son Goethe à elle, et l’extraire pour son propre usage du Goethe complet, on doit supposer, chez le lecteur habituel d’un lyrique du genre monotone, une manière de sentir également restreinte, une ame de très près apparentée à l’ame du poète. De cette communion de sentimens naît souvent chez le lecteur une tendresse intime, une prédilection, un enthousiasme pour son poète, qu’on ne s’expliquerait pas, si l’on n’était dans la confidence. C’est le privilége des lyriques dont nous parlons, qu’ils savent se faire çà et là par le monde des amis passionnés. Peu de bruit les accompagne, la plupart du temps la multitude ignore jusqu’à leur nom ; mais ce qu’ils perdent en popularité, ils le regagnent en délicates sympathies, en douces émotions qu’ils procurent. Ce n’est plus la bouche qui les prône, c’est le cœur qui les sent ; on ne les admire pas, on les aime, on les prend avec soi dans les promenades du printemps, on rêve avec eux dans le petit bois où fleurit l’aubépine, où l’oiseau chante. À l’automne, vous les avez encore sur le banc de pierre du sentier, et c’est sur eux que tombent les dernières feuilles. Ils se mêlent tout naturellement à vos joies, à vos tristesses, à vos souvenirs comme à vos espérances ; tout au rebours des grands poètes, dont on se fait volontiers le héraut : il est telles heures où vous ne voudriez pas même prononcer leur nom, tant vos plus doux secrets, tant vos pensées les plus intimes s’y rattachent. Il y a de la jalousie d’amant dans ces commerces. Qu’on s’étonne ensuite que certains lyriques soient si peu connus. Je me figure très bien un lecteur divinisant Novalis, Justin Kerner ou tout autre de cette classe, y retournant en toute occasion, et n’ayant de sens poétique que pour lui ; il entre dans ces prédilections moins de dilettantisme que de goût naturel, de spontanéité ; il ne s’agit plus d’art, mais de sentiment. Toutes les ames n’ont-elles point en elles une musique, voix ou écho, qui n’attend pour vibrer ou chanter que la note féconde et sympathique ?

Nous avons appelé Kerner enfant naturel de la poésie. Enfant, ce