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les passeports nécessaires pour votre voyage. Voilà le plan qui me paraît le plus simple, le plus facile à exécuter.

— Et où trouverai-je cette dame, mon père ? demanda Estève.

— À Versailles. Cependant il est arrivé tant de changemens depuis l’époque où je l’y ai vue pour la dernière fois, qu’il se pourrait qu’elle n’eût plus les mêmes charges à la cour. N’importe, vous saurez facilement quel est l’endroit qu’elle habite, vous la trouverez dans son hôtel, à Paris, ou bien dans sa terre de Froidefont, aux environs de Meaux. Ces grandes familles n’aliènent pas leurs propriétés comme les gens parvenus et séjournent constamment aux mêmes lieux.

— Mais sous quel nom me présenterai-je ? Je ne puis, sans imprudence, reprendre celui de mon père, observa Estève.

— Sans doute ; vous prendrez le nom de votre mère, c’est celui d’une ancienne famille, et il s’éteint en votre personne, m’avez-vous dit.

— Eh bien ! mon père, je suis prêt et résolu, s’écria Estève en se levant ; à l’œuvre ! Dans trois jours il faut que je sois hors d’ici.

VII.

Trois jours plus tard, en effet, vers la tombée de la nuit, deux hommes étaient arrêtés au bout du chemin solitaire qui traverse la forêt d’Ermenonville, et qu’on appelle le Pavé Davesne ; c’étaient le père Timothée et Estève. Ce dernier s’était déjà débarrassé de sa robe de bénédictin pour revêtir l’habit à larges basques et le chapeau rond à boucle. Un manteau de drap d’une coupe ancienne cachait sa taille ; il portait sous son bras le lourd coffret qui contenait sa fortune.

— Mon fils, dit à voix basse le vieux moine, l’instant décisif est venu ; partez. Du sang-froid, point de précipitation. Gagnez Senlis, et attendez hors de la ville le passage de la première voiture. Si vous le pouvez, prenez celle de Meaux ; vous aurez ainsi une chance pour remettre plus tôt cette lettre à son adresse. Adieu, mon fils, adieu !

Estève serra silencieusement la main du père Timothée, jeta un dernier regard autour de lui, et s’éloigna rapidement. Le chemin qu’il suivait était peu fréquenté, surtout à cette heure de la journée ; il ne rencontra que quelques paysans, qui ne prirent pas garde à lui. Pourtant la nuit s’avançait, et, quand il arriva aux portes