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VI.

Une année entière s’écoula. La santé d’Estève était gravement altérée, mais cet état de langueur et de maladie lui procura une sorte de soulagement moral. À mesure que ses souffrances devenaient plus vives, les inquiétudes de son esprit s’apaisaient : un triste espoir le soutenait, et rendait à son ame le calme et la sérénité.

Une fois le père Timothée, qui ne pénétrait point la cause de ce changement, lui dit avec satisfaction :

— Mon cher fils, ce que j’avais espéré arrive ; vous vous êtes résigné enfin.

— Oui, mon père, résigné à mourir, répondit Estève avec un faible sourire.

Un matin, au sortir de la messe, à laquelle il assistait chaque jour malgré son état de faiblesse et de maladie, Estève rencontra le prieur, qui s’était arrêté pour l’attendre à la porte du grand cloître. Cette marque d’attention et d’intérêt, la physionomie froidement affligée du père Anselme, lui causèrent un sentiment d’inquiétude ; il pressentit quelque nouveau malheur.

— Mon cher fils, lui dit le prieur, quelqu’un vous attend dans votre cellule pour vous apprendre un triste événement. Allez, et souffrez d’un cœur soumis l’affliction que la volonté de Dieu vous envoie.

Estève franchit éperdu l’escalier du dortoir, et il jeta un cri sourd en reconnaissant celui qui l’attendait à la porte de sa cellule : c’était l’abbé Girou. La seule présence du vieux prêtre lui apprenait le malheur qui l’avait frappé.

— Ma mère ! s’écria-t-il d’une voix étouffée.

— Dieu l’a délivrée, mon enfant, répondit le vieillard en levant les yeux au ciel.

Dans le premier moment d’une telle douleur, la présence de l’abbé Girou fut pour Estève une grande consolation ; mais bientôt il dut apporter dans ces relations une réserve qui les rendait pénibles pour lui. Par un sentiment d’affection généreuse, de délicatesse prudente, il cacha à son vieil ami ses regrets, ses souffrances, toutes les peines qui le dévoraient. Il garda le silence parce qu’il lui semblait que ses plaintes seraient un reproche à la mémoire de sa mère, une accusation contre celui qui l’avait élevé dans l’unique but de faire de lui