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LE DERNIER OBLAT.

rait dans les regrets, dans la terreur des châtimens que la justice divine réserve aux impies. Ah ! plutôt mourir mille fois que de remplir ses derniers jours de telles angoisses ! Oui, j’aime mieux mourir, mourir ici !

Le père Timothée serra silencieusement la main d’Estève ; sa propre conscience, sa conscience d’athée, comprenait ces scrupules et approuvait cette résolution.

— Mon cher fils, maintenant il faudrait cacher au plus tôt ceci, dit-il en montrant le coffret ; vous savez à quelle punition s’expose le religieux qui viole le vœu de pauvreté en gardant secrètement de l’argent ? Jusqu’ici vous n’avez été l’objet d’aucune surveillance, mais on peut se méfier enfin. Le prieur a une double clé de toutes les cellules ; s’il avait l’idée de visiter celle-ci en votre absence, et qu’il y trouvât ce trésor au lieu de la petite somme que la règle vous permet de posséder, vous seriez puni d’abord par la confiscation, ensuite par tel châtiment qu’il plairait à sa paternité de vous infliger.

— Mais où déposer ce coffret ? À qui le confier, mon père ?

Le père Timothée réfléchit, hésita un moment, puis il répondit :

— La terre qui couvre les morts est le plus discret et le plus fidèle dépositaire de ce qu’on veut cacher aux vivans ; allons enfouir ce coffret dans un coin du vieux cimetière, et soyez assuré que personne ne l’y découvrira.

En dehors des bâtimens claustraux et non loin de l’église, il y avait un édifice connu sous le nom de Chapelle du Roi. Ce monument, qui existe encore aujourd’hui, et dont l’architecture semble appartenir à la seconde moitié du XIIIe siècle, était entouré alors d’un jardin inculte qu’on appelait le vieux cimetière. À une époque déjà très éloignée, ce lieu avait servi de sépulture aux bénédictins de Châalis, et l’on apercevait encore çà et là, sous l’herbe humide et grasse, des pierres tumulaires couvertes d’inscriptions effacées. Une fraîche végétation ombrageait ces tombeaux, et des massifs de lilas et de rosiers de Gueldres environnaient la Chapelle du Roi. Les moines ne fréquentaient guère cet endroit écarté ; ils préféraient se promener dans le préau du grand cloître ou bien dans leur vaste jardin ; mais Estève y venait quelquefois chercher un moment de solitude et de liberté. Cette nuit-là, bien que l’obscurité fût profonde, il n’eut pas de peine à reconnaître le terrain, et, s’arrêtant devant la Chapelle du Roi, il dit au père Timothée :