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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

de la nation. Et cependant, sous ce niveau, l’originalité de nos provinces a-t-elle disparu tout entière ? Parce que nous ne formons plus qu’un peuple et que nous avons tout mis en commun, nos intérêts et nos souvenirs, n’y a-t-il pas dans la diversité de nos origines un caractère qui devrait et pourrait encore se retrouver dans la littérature de chaque province ? Nous touchons à la fois au nord et au midi de l’Europe ; ne faut-il pas cultiver et développer ce double génie ? L’Alsace, si éminemment française par l’esprit et par le cœur, placée en face de l’Allemagne, ne reçoit-elle pas l’impression de deux littératures, et presque de deux civilisations différentes ? N’y a-t-il pas dans le midi de la France une population ardente, spirituelle, poétique, pleine d’invention et d’imagination, gardant les souvenirs de la gloire littéraire de Toulouse, et toute prête à rendre de nouveaux trésors si l’on vient à son secours ? L’école de Montpellier, avec ses traditions spiritualistes, long-temps la première du monde, ne garde-t-elle pas encore aujourd’hui un rang à part dans l’enseignement de la médecine, et ne vient-on pas, par un coup de fortune, d’établir une chaire de philosophie à côté de la chaire de Lordat ? Et cette vieille et poétique Bretagne, remota Britannia, tout isolée dans sa presqu’île, avec sa langue nationale, ses anciennes mœurs que les progrès de la civilisation ont tant de peine à entamer, ses préjugés, ses croyances naïves, son génie indomptable et persévérant, n’y a-t-il rien à en espérer ? ne rallumera-t-on pas le feu sacré des études philosophiques dans la patrie de Descartes ?

Il y a déjà quelques années que, dans l’espoir de diminuer l’encombrement des écoles de la capitale, de raviver le goût des lettres, et de donner un centre au développement original de chacune de nos grandes provinces, on a fondé à la fois plusieurs universités complètes. Caen, Strasbourg, Dijon et Toulouse possédaient seules presque toutes les facultés réunies ; d’autres villes importantes ou n’avaient pas de haut enseignement, comme Lyon et Bordeaux, ou n’en avaient qu’un très incomplet, comme Rennes et Montpellier. Il était contraire à l’intérêt des bonnes études de laisser ainsi des facultés isolées. Une faculté des lettres, sans une école de droit, n’a pas son auditoire naturel ; ni une faculté des sciences sans une école de médecine. Et d’autre part, quoi de plus nécessaire que d’ouvrir, à côté d’une école de droit ou de médecine, des cours de philosophie et de littérature ? Ce que l’on appelle une éducation spéciale peut faire de bons praticiens ; mais il n’y a pas d’homme véritablement éclairé sans une culture générale de l’intelligence. Les professeurs eux-