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l’appauvrissement des provinces, qui, n’étant pas encouragées et ne recevant pas l’impulsion d’assez près, se détournent de la culture des lettres et font refluer sur la capitale, qu’ils encombrent, tous les esprits ardens et ambitieux. Le talent ne se révèle pas toujours de lui-même à celui qui le possède ; le plus souvent l’étincelle vient du dehors. Si l’on veut que la lumière se répande également dans toute la France, il faut donner des alimens aux esprits, éveiller la curiosité, faire naître le goût de la science et des fortes études par le spectacle, rendu plus présent, de l’activité intellectuelle et de la vie littéraire et scientifique. Une riche nature peut rester endormie si rien ne la sollicite, et ignorer toujours les dons qu’elle avait reçus. L’amour de la vérité a aussi sa contagion, et, selon la belle parole d’un père de l’église, « les ames s’allument l’une à l’autre comme des flambeaux. » Croit-on que Paris s’accroisse de ce que l’on ôte aux provinces ? Tout ce mouvement qui se fait autour des pouvoirs politiques dans une grande capitale, est-ce donc un auxiliaire pour la science ? Avec cette publicité chaque jour croissante qui met la célébrité à la portée de tout le monde, assure cent mille lecteurs à un article frivole et n’en laisse pas aux œuvres les plus sérieuses, que devient la littérature sans croyance, sans culte de l’art, vendue au plus offrant et transformée en appeau pour prendre des dupes ? Quelle indépendance, quelle dignité peut conserver la philosophie, traînée à la remorque des partis, flattant les passions qu’elle devrait dompter, et exploitée seulement au profit des philosophes ? Les querelles envenimées, les ambitions, les intrigues qui occupent l’opinion et la faveur populaires, ne permettent pas à la philosophie de faire entendre sa voix au milieu de ces cris de haine. Il faut qu’elle s’avilisse jusqu’à devenir l’instrument d’un parti et à porter ses couleurs. Elle est la bien-venue sous cette livrée, pourvu encore qu’elle ne se rende pas importune ! Ne sommes-nous pas les témoins de cette prévarication et de cette honte ? Mais, s’il est vrai que la vérité ne se découvre qu’à ceux qui l’aiment et ne se donne qu’à ceux qui la recherchent pour elle-même, ne faut-il pas ouvrir des asiles aux méditations calmes, aux études persévérantes ; fournir des issues à ces ambitions qui se nuisent, qui s’étouffent, et détourner au profit de la science cette impatiente activité qui se dépense sans but ou s’exerce pour le mal ?

Notre pays peut être fier de cette unité qu’il a conquise au prix de tant de sang et de sacrifices, et qui n’est pas seulement dans le gouvernement et dans les lois, mais dans l’esprit, dans les mœurs