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reproduisait au sein de la théologie catholique les opinions fondamentales de Calvin sur la grace et la justification par la foi. La théologie catholique, qui a toujours su, par de sages tempéramens, se préserver des excès de la logique, repoussa vivement la doctrine de Jansénius, de Saint-Cyran, et la persécuta comme une hérésie. Le jansénisme dut songer à se défendre. C’est ici qu’il faut se donner le spectacle des contradictions humaines. Cette doctrine qui avait débuté avec l’intention sincère de régénérer, de sauver la religion, lui porte les plus furieux coups. Ces solitaires, qu’on croyait abîmés dans les profondeurs de la grace, tirent le glaive d’une polémique acérée, et le mettent aux mains d’un jeune homme qui se révèle en un jour comme le Cid de Corneille. Vous qui êtes jeune, vous devriez faire quelque chose, dit Arnauld à Pascal[1]. Effectivement Pascal fit quelque chose, il écrivit les Provinciales, et le démon de l’ironie fut déchaîné contre les choses saintes. Les jésuites reçoivent en apparence tous les coups, mais la religion est frappée avec eux. Pascal a préparé les voies ; Voltaire peut venir. Et voilà où aboutit une entreprise où l’on se proposait le triomphe de la foi !

Entre la religion catholique et la philosophie, le calvinisme se trouve réduit aujourd’hui à une impuissance stationnaire. Comment en serait-il autrement ? Il ne satisfait aucun des besoins indestructibles qui sont dans l’humanité la cause nécessaire de la religion et de la philosophie. L’humanité demande à la religion, avec l’enseignement de la vérité, les symboles et les magnificences du culte, les émotions de la poésie et de l’art ; il lui demande aussi pour l’homme un appui constant par l’intervention assidue d’un ministère efficace, pour la société des inspirations de dévouement et de charité, des vues hautes, et des principes certains d’ordre et de hiérarchie. Or, le calvinisme a détruit le culte ; il proscrit l’art, il ignore la poésie ; il refuse aussi de consoler l’homme par une parole douce et puissante, qui ait le don de lier et de délier ; enfin, il est sans influence sur la société même, en dépit de l’ambition de son fondateur. L’homme s’adresse à la philosophie pour qu’elle lui livre la connaissance de lui-même et l’instruise de la raison des choses. La première condition de cette étude est la liberté, et le calvinisme la refuse à l’homme, en le déclarant incapable de s’élever seul à l’intelligence de la vérité. Au XVIe siècle, la réforme de Luther et de Calvin sut imprimer à l’esprit de l’homme et aux sociétés une impulsion salutaire ; elle ranima le sen-

  1. Port-Royal, t. II, p. 537.