Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/543

Cette page a été validée par deux contributeurs.
537
DU CALVINISME.

Genève n’était point tranquille. Les catholiques, les réformés et les libertins la divisaient. Qu’étaient-ce que les libertins ? C’étaient des gens du monde, c’étaient des bourgeois conservateurs, qui prétendaient ne rien perdre de leur vieille liberté de mœurs, et qui, suivant les expressions d’une chronique, voulaient vivre à leur gré, sans se laisser contraindre au dire des prêcheurs. Les libertins formaient dans le principe presque la majorité de la bourgeoisie, qui ne pouvait comprendre que Genève se fût séparée du catholicisme pour tomber sous le joug de la plus dure tyrannie. Les jeunes gens, les fils des meilleurs citoyens de Genève, étaient troublés dans leurs galanteries et dans leurs plaisirs ; ils frémissaient surtout à la vue de cet étranger, de ce Français pâle et bilieux, qui annonçait le dessein de réformer les mœurs de la république. Les tavernes retentissaient de joyeuses railleries sur le compte de l’hôte que Farel n’avait pas voulu laisser partir. Pour cette bouillante jeunesse, Calvin était un de ces tempéramens mélancoliques et impuissans qui condamnent tout chez les autres, parce que tout est refusé à leurs stériles désirs, et qui ne doivent ce qu’ils appellent leurs vertus qu’à la pauvreté de leur sang et de leur imagination.

Nous assistons à un spectacle qui n’était pas rare dans les sociétés antiques, mais qui est peut-être unique dans l’histoire moderne. Un homme, un étranger, entreprend d’imposer sa volonté à une ville, à une république, où la veille il était inconnu. C’est une lutte entre d’anciennes mœurs et des idées qui étaient nouvelles, sinon dans le fond, du moins par la forme, et surtout par l’audace avec laquelle elles affectaient l’empire. Calvin déclare qu’il ne restera pas à Genève si on n’y change de vie, et si la parole de Dieu n’est hautement proclamée et pratiquée. Il dresse un formulaire en vingt-un articles qui contient une confession de foi, des règles de discipline et la sanction de l’excommunication. On se soumet : les conseils de la république et l’assemblée de la bourgeoisie s’engagent par serment à suivre le formulaire. Calvin n’est plus un apôtre, mais un dictateur.

Il avait le génie de la théocratie. Nous venons de le voir, à la fin de l’Institution chrétienne, s’élever contre la folie des anabaptistes, qui réprouvaient tout gouvernement civil comme contraire à la liberté des élus de Dieu. Calvin reconnaissait que la vocation du magistrat politique était légitime, mais à la condition que cette magistrature serait un instrument de la loi divine. C’est la pensée de cet Hildebrand qu’il a insulté dans son livre, et le prédicant de Genève n’a pas une autre ambition que celle de Grégoire VII. Perpétuelle