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REVUE DES DEUX MONDES.

Dans l’ouvrage de Calvin, ses coreligionnaires goûtaient encore la douceur d’y voir leurs adversaires insultés et maudits. Jamais la religion catholique n’avait été abreuvée de plus de fiel, et elle aussi eût pu dire : Détournez de moi ce calice. Ainsi, certitude pour l’esprit ; pour l’ame, le double attrait de la terreur et de l’espérance ; pour des cœurs ulcérés, les émotions haineuses d’une polémique implacable, tout assurait à l’œuvre de Calvin un de ces succès qui procurent à l’homme non-seulement les satisfactions de l’amour propre, mais la réalité de la puissance. D’un coup, l’Institution chrétienne tira Calvin de l’obscurité : elle le marqua au front d’un signe de prédestiné, et l’on sentit qu’un chef venait de se lever dans Israël.

On a discuté pour savoir dans quelle langue Calvin avait originairement écrit son livre. Question oiseuse, car il l’a écrit lui-même deux fois, en français et en latin. En traitant itérativement le même sujet, Calvin ne se traduit pas ; il pense de nouveau ce qu’il a déjà pensé, et chaque fois il apporte à son œuvre plus de réflexion et de vigueur. Lisez les deux versions de l’Institution chrétienne, la latine aussi bien que la française, vous trouverez sous l’enveloppe des deux proses la même passion et le même feu. À la faveur de cette double forme, l’Institution chrétienne est lue partout, dans les Pays-Bas comme en France, en Angleterre non moins qu’en Allemagne, et cette grande édification du christianisme réformé se trouve rapidement dans toutes les mains, dans celles du savant, de l’écolier, du pauvre et du gentilhomme.

Les lecteurs de l’Institution chrétienne purent reconnaître dans Calvin trois hommes, le théologien, le pamphlétaire et le législateur. Il était d’un puissant secours celui qui offrait aux siens la science qui édifie, la passion qui combat, et la volonté qui exécute. Aussi, après l’apparition de l’Institution chrétienne, Calvin ne s’appartint plus, et comme en 1536, à son retour d’Italie et dans le désir de regagner Bâle, il traversait Genève, il fut arrêté par Farel. C’était un autre Français qui propageait aussi la réforme, et qui pressa Calvin de venir à son aide. Calvin alléguait son amour du repos, et Guillaume Farel ne put triompher de sa résistance que par une adjuration espouvantable[1]. Calvin ne partit point, et Genève, dans le voyageur qu’elle retient dans ses murs, a trouvé son législateur et son maître.

  1. Expression de Calvin.