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leur foy. Bref, ils ont tous un mesme propos, ou de conserver leur règne ou leur ventre plein. Et n’y en a pas un d’eux qui monstre la moindre apparence du monde de droict zèle : et néanmoins ils ne cessent de calomnier nostre doctrine et la descrier et disfamer par tous moyens qu’il leur est possible, pour la rendre ou odieuse ou suspecte[1]. » On comprend maintenant pourquoi Calvin a quitté la France, pourquoi aussi il n’y veut plus rentrer. Il veut être libre dans sa foi et dans ses haines, et pouvoir à son aise répandre sa doctrine et son fiel.

On nous objecte, poursuit Calvin, que notre doctrine est nouvelle. Cette nouveauté n’existe que pour ceux qui ignorent la religion elle-même. — On nous oppose les pères de l’église. Certes, ces antiques docteurs ont écrit d’excellentes choses avec sagesse et solidité. Néanmoins il leur est arrivé comme à tous les autres hommes de se méprendre et de tomber dans l’erreur. D’un autre côté, s’il fallait s’en tenir strictement à ce qu’ont enseigné les pères, pourquoi les catholiques eux-mêmes ont-ils innové à l’égard de cet enseignement avec tant de licence et de témérité ? — Nos adversaires nous renvoient à la coutume, mais la coutume n’est souvent qu’une commune conspiration en faveur du vice, et il est absurde de vouloir la faire observer comme une loi sainte et inviolable. — Enfin il y a une insigne mauvaise foi à reprocher aux réformés les troubles et les tumultes dont la prédication de leur doctrine est accompagnée. Au surplus, cette injustice n’est pas nouvelle de charger la parole de Dieu des haines et des séditions que les impies et les rebelles émeuvent contre elle. On accusait aussi les apôtres d’être les auteurs des émotions populaires. Mais les apôtres ne se laissaient pas troubler, parce qu’ils savaient que Jésus-Christ est une pierre de scandale et de chute mise pour la ruine comme pour le relèvement de plusieurs, et comme un signe auquel on devait contredire. Le roi de France ne doit donc pas prêter l’oreille aux calomnies dont on poursuit les réformés : si cependant le mensonge l’emporte, nous posséderons nos ames par la patience, dit en finissant Calvin, et nous attendrons la toute-puissante main du Seigneur, qui ne manquera pas en son temps de nous secourir. — Tels sont les points principaux que traite successivement Calvin dans son apologie : les développemens qu’il en tire sont tout ensemble abondans et vigoureux. On y sent un maître dans l’art de raisonner et d’écrire. Si l’on voulait comparer Tertullien et Calvin,

  1. Préface au roi de France ; Institution de la religion chrétienne.