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ici, j’avais espéré obtenir de vous et de sa mère la permission de l’emmener pour quelques mois à Paris.

— C’est à merveille ; une fois arrivé, vous le garderez quelques jours, si vous le jugez convenable, ensuite une personne de confiance pourra le conduire à Châalis.

— Non, non, ce n’est pas ainsi qu’il nous quittera, interrompit Mme Godefroi avec un profond sentiment d’amertume ; si Estève ne peut échapper à son sort, si, pour accomplir le vœu de sa mère et votre volonté, il doit aller s’ensevelir dans un cloître, mon mari, mes enfans et moi, nous le conduirons jusqu’à la porte de l’abbaye de Châalis, nous recevrons ses derniers adieux, et il saura du moins qu’il laisse derrière lui une famille qui le regrette.

À cette réponse, le marquis se tourna vers sa femme avec un geste violent, et lui dit : — Sur mon ame ! on dirait, à entendre votre sœur, que je force votre volonté, et que je suis un père dénaturé, le tyran, le fléau de ma famille !

— Oh ! monsieur ! qui oserait le penser, s’écria la marquise d’une voix tremblante, qui oserait se plaindre ? Ce n’est pas moi, vous le voyez.

En entendant la malheureuse mère d’Estève protester ainsi de sa soumission, Mme Godefroi détourna les yeux, et alla s’asseoir à l’écart. Le marquis, après avoir marché un moment dans le salon, comme pour laisser à sa propre irritation le temps de se calmer, revint près de sa femme.

— Tout étant ainsi réglé et arrêté, je vais vous quitter, lui dit-il ; ce soir, j’annoncerai dans le monde que cet enfant voué à Dieu, et que depuis long-temps on n’appelle plus que l’oblat, est près de ratifier la promesse que vous fîtes pour lui. C’est d’un grand exemple ; mais on connaît votre haute piété, et personne ne s’en étonnera.

Comme il s’avançait pour prendre aussi congé de Mme Godefroi, elle se leva et vint à lui. — Monsieur, lui dit-elle, je dois partir dans quatre jours ; peut-être ne pourrez-vous pas revenir ici recevoir mes adieux ; demain, si vous voulez le permettre, j’irai vous les faire à Aix, chez vous, et embrasser une dernière fois mon neveu le comte Armand.

— Oui, madame, répondit le marquis étonné de cette brusque détermination ; demain, j’aurai l’honneur de vous recevoir.

Il sortit ; les deux femmes écoutèrent en silence le bruit de ses pas se perdre dans l’escalier et la porte se refermer sur lui. Quand