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REVUE. — CHRONIQUE.

il se renferme. À notre époque, où l’on a tant besoin de précision et de netteté en toute chose, on ne saurait trop rappeler l’amour du sol. Je ne crois pas que l’homme politique puisse suivre un meilleur guide. Avant de vous prendre d’enthousiasme pour un principe, sachez d’abord si ce principe convient au peuple au milieu duquel vous êtes né. De tout temps, on a parlé du bonheur universel. Le bonheur universel sera atteint quand, dans tous les coins du monde, les grands hommes et les gens de bien sauront se restreindre à s’occuper du bonheur de leur pays.

La voix de M. Molé, en succédant à celle de M. de Tocqueville, a rendu aux échos de l’Académie les accens qu’ils ont l’habitude de répéter. L’élégant auditoire des fêtes littéraires s’est rassuré ; il s’est remis à sourire avec grace et à comprendre sans effort. Il n’a plus été question de l’avenir et de ses terreurs ; l’horizon a repris des lignes précises, et le ciel est devenu plus clair. On écoutait, on approuvait, on applaudissait. Quand on vit arriver l’éloge de l’urbanité française, l’émotion fut portée à son comble. Décidément, le sacrifice commencé sur l’autel de la liberté s’achevait sur celui de la politesse. Sans doute le succès de M. Molé trouve en partie son explication dans la composition du public devant lequel il a été obtenu ; il serait toutefois injuste d’en parler, comme l’ont fait quelques-uns, avec trop de légèreté. À une époque encore récente, l’ancien président du conseil a montré qu’il y avait en lui des ressources inattendues d’éloquence. Devant une assemblée toute différente, M. Molé, nous en sommes sûr, aurait encore excité des sympathies, et surtout entretenu l’intérêt ; car, outre le charme de sa diction, ce qui donnait à ses paroles une valeur incontestable, c’est ce qu’on savait de sa vie, et ce qu’il en racontait lui-même avec dignité et discrétion. Pour la génération dont M. de Tocqueville fait partie, l’empereur est ce héros, haï ou adoré, mais élevé à des proportions surhumaines, dont le nom, semblable à celui des dieux de la fable, ne revient qu’avec des fragmens de poème ; pour celle à laquelle appartient M. Molé, c’est l’homme dont on a touché le vêtement, le souverain dont on a recueilli les paroles et le sourire. On s’est un peu moqué de la naïveté que mettait l’auditoire dans l’expression de sa curiosité avide et de son admiration confiante toutes les fois qu’un mot échappé à l’empereur venait sur les lèvres de M. Molé. Nous n’avons pas le droit de tourner ces sentimens en ridicule, car nous les avons partagés. Dans nos âges de civilisation, la tradition orale, faite en public de cette façon solennelle, est assez rare pour qu’on la reçoive avec recueillement et respect. Il est un souvenir que M. Molé a su évoquer d’une façon plus touchante encore que celui de Bonaparte, c’est le souvenir d’un magistrat dont le nom rappelait une illustration domestique au nouvel académicien et une des gloires les plus pures de la France à toute l’assemblée. Pour prouver à M. de Tocqueville que les monarchies n’avaient rien à envier aux républiques, pas même leurs vertus, M. Molé lui a montré dans sa propre famille un homme que la royauté mourante ceignit d’une auréole préférable à tous les lauriers qui ombragèrent jamais le front des héros antiques, M. Lamoignon de Malesherbes. L’impres-