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REVUE. — CHRONIQUE.

quences ne leur en paraissent pas suffisamment étudiées. Le doute et la crainte assiégent leur esprit ; ils ne voudraient pas s’exposer à des dommages imprévus, et par cela même incalculables. — Il y a du vrai dans cette opinion. Un esprit superficiel pourrait seul se persuader que nous connaissons tous les résultats économiques, politiques et moraux de ces nouvelles communications entre les états et entre les hommes du même pays. La question renferme un très grand nombre de données, et il n’est pas aisé d’en dégager toutes les inconnues. Nous ne sommes pas loin de croire que l’établissement des rail-ways produira, avec de grands avantages, quelques inconvéniens, quelques dommages. Certes, un chemin de fer entre Paris et Bordeaux, c’est comme si on transportait Bordeaux à Moulins, Tours à Orléans, Orléans à Saint-Germain, ainsi de suite. On peut calculer jusqu’à un certain point les effets de ce rapprochement. Peut-être est-il plus difficile de prévoir les effets que le nouveau moyen de communication produira sur les pays qui, se trouvant avec la capitale dans des relations de distance analogues à celles qui existent entre Paris, Bordeaux, Tours, Orléans, ne participeront pas aux bénéfices du chemin de fer. Ces pays, par comparaison avec Bordeaux, Tours, Orléans, etc., seront en quelque sorte plus éloignés de Paris qu’ils ne l’étaient. Les produits et les hommes des pays artificiellement rapprochés l’emporteront sur les hommes et les produits des pays qui conservent leur ancienne position. Le fait de la concurrence en sera profondément modifié, et de graves perturbations pourront se manifester sur le marché. Ces observations sont fondées. Mais serait-ce là un motif de s’arrêter ? Les avantages sont évidens, certains ; ils intéressent également la prospérité générale et la politique de la France. Les inconvéniens sont partiels, locaux, et jusqu’à un certain point temporaires. Il n’est pas d’amélioration sociale qui ne soit, au début, couverte en partie d’un voile que le temps seul peut soulever. Il n’est pas donné à l’humanité d’agir seulement alors que tout doute serait entièrement dissipé ; cette excessive prudence ne serait en réalité qu’un scepticisme mal déguisé.

Enfin, il est des hommes politiques pour qui la vaste entreprise que le gouvernement vient de proposer est un sujet de crainte, non par la nature même de l’entreprise, mais par l’embarras où se trouvent momentanément nos finances. Le déficit les effraie. Ils ne comprennent pas comment on peut raisonnablement décréter de grandes dépenses et engager l’avenir du pays avant d’avoir complètement liquidé le passé, avant d’avoir rétabli entre les dépenses et les recettes un équilibre qui est le principe de toute administration régulière. M. Lacave-Laplagne a pris hier la parole pour calmer ces alarmes et rassurer les hommes prudens et timorés. L’argument d’autorité est en effet très puissant lorsque deux hommes pratiques, positifs, et aussi ménagers de la fortune publique et du crédit national que M. Humann et M. Lacave-Laplagne, ont unanimement déclaré que, dans les limites du projet, l’entreprise, qui ne doit s’exécuter que successivement, n’est pas de nature à jeter le trouble dans les finances de l’état.

Sans doute, l’avenir ne doit pas être engagé légèrement ; mais que ferait une