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territoire de l’empire, que là se trouvent en quelque sorte ses magasins et ses réserves. L’empereur est d’autant plus responsable de ces faits, que son pouvoir est absolu, et que nul de ses sujets n’oserait plus enfreindre ses ordres s’ils étaient donnés sérieusement et de bonne foi, et si l’infraction en avait été sévèrement réprimée.

Notre armée d’Afrique continue à déployer une grande activité et à donner les preuves les plus éclatantes de bravoure et de dévouement. Cependant on n’éprouve pas moins le besoin d’adresser au gouvernement la même question : Où en sommes-nous relativement au système de colonisation ? le gouvernement en a-t-il adopté un ? est-il prêt à l’adopter, à le présenter aux chambres, à nous dire en quoi il consiste, ce qu’il demande de temps, d’efforts, d’argent ? Jusque-là la gloire de nos braves sera stérile pour les intérêts de la France ; jusque-là rien n’est assuré pour nous en Afrique. Tant que nous n’aurons pas en Afrique une population à nous, chrétienne, civilisée, une population de cultivateurs, pouvant, par ses travaux, obtenir du sol africain des moyens de subsistances et pour elle-même et pour les troupes chargées de le garder, tant que nos soldats et leurs chevaux ne pourront subsister que des denrées et des fourrages que la mère-patrie leur envoie, l’Algérie n’est pour nous qu’une conquête incertaine. C’est comme une place forte avec une énorme garnison et une population hostile que nous posséderions, sans autre territoire, à deux cents lieues de nos frontières. Ce serait là, évidemment, quelle que fût sa bravoure, une garnison compromise. On ne pourrait la retirer de cette position hasardée que par des efforts extraordinaires. À quoi sert le courage lorsque les moyens de vivre manquent ? Où a-t-on réuni plus de braves que nous n’en avions en Russie ? Le froid et la faim, la faim surtout, ont détruit la plus grande et la plus belle armée des temps modernes.

En attendant la discussion du budget, la chambre des députés s’occupe enfin des chemins de fer. La discussion générale n’a été ni vive ni longue. Évidemment on réservait ses forces pour la discussion des articles. Seulement, pour être justes, nous ferons remarquer le langage ferme et élevé qu’a tenu M. le ministre des travaux publics, lorsqu’il a adjuré la chambre de se rappeler qu’au-dessus des intérêts locaux il y a un intérêt général et sacré, l’intérêt de la France, intérêt qu’il faut envisager non-seulement du point de vue de l’intérieur, mais dans nos rapports avec les pays voisins. Ce serait en effet un dommage et une honte que de nous arrêter, par les tiraillemens des intérêts particuliers, dans une carrière que nos voisins sont empressés de parcourir.

Les chemins de fer rencontrent des adversaires de plus d’un genre. Les uns les repoussent comme ils repoussent toute nouveauté. Ces hommes sont le caput mortuum de l’humanité ; si le monde les avait écoutés, il n’aurait ni charrue, ni chaussées, ni poste aux lettres, rien de ce qui distingue la barbarie de la civilisation.

Les autres ne redoutent pas la nouveauté, mais l’inconnu. Ils ne repoussent pas l’invention parce qu’elle est chose nouvelle, mais parce que les consé-