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un cabinet qui nous dit nettement ce qu’il est, ce qu’il veut, ce qu’il se propose de faire.

La position du ministère n’était pas jusqu’ici nettement dessinée. Le terrain qu’il occupait paraissait fort étendu, parce qu’il n’était pas délimité. Il semblait pénétrer jusque dans les régions du centre gauche ; mais qui pouvait affirmer qu’il y eût là autre chose qu’un mirage trompeur ? qui aurait osé dire : Voici pour le ministère un terrain solide, voici les frontières de son empire ? Peut-être y avait-il en effet une conquête à faire, une conquête possible ; le ministère a peu de goût pour les conquêtes ; toujours sage, toujours modéré, il a mieux aimé se fortifier que s’étendre. Après tout, le centre gauche, même le centre gauche mitigé, lui paraît un pays tout plein d’aventures et de périls ; il a préféré s’abstenir, rester chez lui, avec les siens, tout-à-fait en famille. Le ministère a été conséquent. S’il est vrai qu’il ait offert le portefeuille des finances à M. Passy, il a pour un moment sacrifié la logique à la courtoisie. En le refusant, M. Passy a été loyal et prudent. Le ministère est de plus en plus homogène : si les élections ne viennent pas déranger ses calculs, tromper ses prévisions, s’il ramène sous son drapeau une majorité sérieuse, il placera M. de Salvandy sur le fauteuil de la présidence de la chambre. Ce n’est pas là le seul pronostic qu’on pourrait hasarder.

Les esprits se préoccupent de plus en plus de la lutte électorale, dont le jour approche rapidement. Le ministère et l’opposition ont dressé leurs batteries, et le feu paraît devoir être plus vif et plus animé qu’on ne l’avait pensé d’abord. Il est des sentimens populaires, des sympathies et des antipathies nationales qui se réveillent avec une vivacité toute nouvelle : le moindre événement, le moindre incident fâcheux pourrait facilement les exalter. Le pays, tout en désirant la paix, n’est pas content du rôle que cette paix lui a donné. Il en éprouve du malaise ; les conservateurs eux-mêmes n’osent pas dire hautement que tout est au mieux pour la France dans le monde politique. C’est une situation délicate qui demande beaucoup de prudence, beaucoup de ménagemens, une grande habileté. En se faisant illusion sur les sentimens du pays, le gouvernement pourrait se préparer de graves difficultés.

Il est question depuis quelque temps, dans le monde politique, du mariage de la reine d’Espagne. Nous ne voulons pas répéter ici tous les bruits qu’ont répandus à ce sujet ces hommes qui prétendent connaître par le menu les vues de tous les cabinets de l’Europe et les négociations diplomatiques les plus secrètes et les plus délicates. On va jusqu’à dire qu’il y aurait eu entre les grandes puissances des veto réciproques, formels, et accompagnés de la clause la plus décisive dans les négociations politiques. Le temps nous apprendra ce qu’il peut y avoir de vrai dans ces bruits. Pour le moment, les profanes aussi comprennent sans peine que l’Angleterre ne verrait pas de bon œil un prince français sur le trône d’Espagne, et que la France, à son tour, trouverait mauvais le mariage de la reine Isabelle avec je ne sais quel prince allemand, à la dévotion de l’Angleterre. Dans ces circonstances, le