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atteindre les eaux. On a bien pu constater que les points du sol de la France, tels que Lusigny, où s’infiltrent les eaux dans la terre, sont plus élevés que Paris ; mais dire de combien les eaux auraient pu s’élever au dessus de la surface du sol, c’était chose impossible pour les physiciens et les géologues qui ont attaqué cette question.

C’est à l’année 1833 que remonte le commencement du forage de Grenelle. On ignorait alors à quelle profondeur[1] serait atteinte la nappe d’eau logée dans les sables verts dont les fontaines jaillissantes d’Elbeuf, de Tours, de Rouen, indiquaient déjà l’existence. Cette incertitude devait, ce nous semble, rendre plus défiantes les personnes chargées d’exécuter et de surveiller le forage de Grenelle ; elle leur commandait d’opérer dès l’abord sur un diamètre assez large pour ne pas craindre ce rétrécissement graduel des tubes de retenue des terres dont nous avons parlé. Malheureusement on opéra tout d’abord comme si les eaux allaient être atteintes à une faible profondeur, et bientôt les tubes inférieurs furent trop petits pour laisser passer et descendre plus bas la sonde. On retira donc les tubes, et on élargit le trou de haut en bas, en replaçant des tuyaux plus larges mais le remède n’était pas suffisant, et, après avoir prolongé le forage un peu plus loin, on fut arrêté une seconde fois par un obstacle semblable. Alors nouvelle extraction des tubes, nouvel élargissement général du puits et sans plus de succès. Croirait-on qu’un semblable remaniement s’est reproduit jusqu’à cinq fois dans le forage de Grenelle ? À cette cause de retard et de perte d’argent il faut ajouter les chutes d’outils au fond du puits, les ruptures d’appareils qui ont eu lieu à diverses reprises. On devine ce qu’il a fallu de temps et de peine pour retirer ou pour refouler latéralement dans les parois du trou ces outils, ces pièces isolées que ne pouvait plus ramener la sonde.

C’est ainsi qu’a traîné pendant huit ans cette opération de forage que des mains plus habiles ou armées de meilleurs instrumens eussent pu terminer en moins de trois ans. Il ne serait pas exact de mettre exclusivement sur le compte des accidens et des reprises gé-

  1. M. Arago estimait cette profondeur à moins de 250 mètres. Il s’exprimait ainsi dans une notice sur les puits artésiens, publiée dans l’Annuaire des longitudes pour l’année 1834 : « Près de Paris, à Suresne, dans la campagne de M. Rotschild, MM. Flachat ont poussé un sondage, déjà commencé par M. Mulot, à la profondeur de 215 mètres. On s’est arrêté quand il n’y avait peut-être plus qu’une vingtaine de mètres à traverser pour atteindre la nappe d’eau. » Cette estimation est de plus de 300 mètres au-dessous de la réalité.