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s’assoupissait aussi dans le cercle éternel de ces mornes habitudes où roulaient depuis si long-temps les habitans de la Tuzelle. L’époque de son départ approchait ; elle n’avait plus qu’une semaine à passer près de sa sœur, et pourtant elle n’avait encore rien fait, rien tenté pour rendre à cet enfant, dont le sort la touchait si vivement, sa liberté, ses droits, sa place dans la maison paternelle. Elle y songeait pourtant, et en parlait quelquefois à l’abbé Girou, qui, sans se permettre aucun conseil, lui laissait entrevoir peu d’espoir de succès, et semblait presque effrayé à l’idée de cette tentative.

Une après-midi, les deux sœurs étaient ensemble dans la chambre de la marquise, qui était encore plus faible et plus souffrante que d’habitude. L’atmosphère était lourde et suffocante ; une chaleur intense se faisait sentir jusqu’au fond des habitations, et l’air qui pénétrait à travers les joints des persiennes était brûlant comme s’il eût soufflé à travers une fournaise. Mme de Blanquefort avait voulu descendre à la chapelle, où le père Damase était venu de grand matin dire une messe de mort, et elle y était restée long-temps en prières. Sa sœur n’avait pas tenté de la détourner de ce redoublement de ferveur ; elle ne s’était pas étonnée non plus du service funèbre, car la Babeau l’avait prévenue la veille en lui disant : — C’est demain Saint-Lazare, un triste anniversaire. Mme la marquise passera la journée en prières pour que Dieu sauve l’ame de ce pauvre M. d’Entrevaux, qui mourut sans confession.

Mme de Blanquefort avait un moment fait trêve à ses exercices de piété ; elle se reposait près de sa sœur, la tête inclinée, les yeux à demi fermés, les mains jointes sur ses genoux. Au premier abord, on aurait cru qu’elle priait encore au milieu d’une involontaire somnolence ; mais, en la regardant mieux, on s’apercevait, au contraire, qu’elle était en proie à une souffrance intérieure, à une sombre agitation, contre laquelle son ame luttait désespérée et vaincue. Mme Godefroi la considérait tristement, et n’osait troubler cette funeste apparence de repos ; elle n’avait point de paroles pour calmer ce cœur affligé ; les ressources de sa philosophie, la grace de son esprit, l’autorité de sa raison, eussent été impuissantes auprès de cette pauvre femme, qui souffrait, croyait et ne raisonnait pas ; sa tendresse seule pouvait lui apporter de muettes consolations. Elle prit affectueusement la main sèche et brûlante de la marquise, et lui dit doucement :

— Allons, Cécile ; à quoi pensez-vous ? Voici l’heure de la récréation ; Estève attend peut-être déjà là dehors que nous lui disions d’entrer.