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mandemens de Dieu et de l’église. Les deux laquais de Mme Godefroi passaient leur temps, dans une salle basse, à dormir ou à jouer aux cartes en cachette. Andrette, la suivante parisienne, pleurait d’ennui tout le jour. Mme Godefroi ne quittait guère la marquise, que son état d’épuisement et de maladie retenait dans la chambre. Les deux femmes se parlaient peu ; il n’y avait entre elles aucun échange d’idées ; tout se bornait à de tendres soins d’un côté, et de l’autre aux témoignages d’une affection reconnaissante. Pourtant, malgré le silence qu’elles gardèrent sur certaines questions, les deux sœurs s’entendirent et se laissèrent aller, presque à leur insu, à de mutuelles concessions. Mme Godefroi vit sans se courroucer la vénération qu’un vieux moine, le père Damase, inspirait à la marquise, dont il était depuis bien des années le directeur. Elle toléra parfaitement des pratiques de dévotion qu’au premier abord elle avait trouvées absurdes, et dont elle s’était intérieurement moquée. Le père Damase lui inspira, en dépit de ses préjugés philosophiques, les mêmes sympathies que l’abbé Girou. Elle ne put, dans la sagacité de son esprit et la justice de son ame, méconnaître la vertu de ces deux hommes, réellement vénérables et saints par leurs œuvres. Elle ne fut pas tentée de se convertir à leur exemple, mais elle respecta leurs convictions au point de ne rechercher avec eux aucune controverse. D’autre part, Mme de Blanquefort se relâcha un peu de ses austérités. Elle consentit à quitter son horrible cilice et à coucher sur un meilleur lit. Le dimanche qui suivit l’arrivée de sa sœur, elle fit une plus grande concession : comme elle voulait se lever malgré sa faiblesse, afin de remplir ses devoirs religieux, Mme Godefroi la supplia de s’en dispenser pour cette seule fois ; elle céda sans résistance, et assista d’intention à la messe que le père Damase célébrait dans la chapelle.

Mme Godefroi ne tarda pas à s’apercevoir que sa sœur était une de ces femmes chez lesquelles l’instinct maternel va jusqu’à la passion. Elle ne pouvait entendre le nom de son fils aîné sans un attendrissement mêlé de larmes, et la douleur d’être séparée de lui était continuelle dans son cœur. La présence d’Estève était sa consolation, son bonheur, toute sa joie : joie amère et troublée par la prévision d’une séparation inévitable et peut-être prochaine. Sa physionomie, habituellement mélancolique et morne, avait une expression plus sereine quand cet enfant était près d’elle ; il semblait, quand elle arrêtait sur lui ses grands yeux tristes, que son ame soulagée se reposait un moment dans la satisfaction suprême d’une si chère con-