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que les airs d’inspiration et de prophétie ; quelque chose d’inachevé dans ses plus belles théories, de grandes questions omises, l’absence de systématisation, expliquent, sans les justifier, les dédains dont il est aujourd’hui l’objet parmi nous. Nous devons beaucoup à Reid, car nous lui devons M. Royer-Collard et la réaction qui nous a délivrés du sensualisme. Sa philosophie, je l’avoue, n’est pas héroïque ; elle ne dévoile pas tous les mystères, elle s’occupe au contraire à les constater ; elle ne possède pas ces merveilleux secrets qui ne laissent rien d’obscur dans la création, et qui expliqueraient toutes choses s’ils pouvaient s’expliquer eux-mêmes. Mais appartient-il à la science de le porter si haut, et de mépriser tout ce qui ne s’éloigne pas du sens commun ? Ne vaut-il pas mieux borner son savoir que de s’emplir la bouche de grands mots vides d’idées, d’envelopper le néant dans des formules inintelligibles, et de donner à force d’orgueil la mesure de sa faiblesse ? M. de Rémusat, qui connaît et expose à merveille tous les reproches que l’on peut faire aux écossais, n’hésite pas, en leur rendant justice, à les reconnaître pour ses maîtres, et pour les maîtres de la philosophie française de notre temps. Sans doute il reste beaucoup à faire après Reid ; il n’a pas créé une philosophie, mais il a mis la philosophie sur la véritable voie ; il a développé, perfectionné, accompli, la méthode rationaliste de Descartes. L’Essai de M. de Rémusat sur Reid est un véritable chef-d’œuvre d’exposition claire et complète et de critique judicieuse. Il faut opposer cette défense de la méthode expérimentale aux dédains et aux injures de nos grands improvisateurs philosophiques, qui, nourris jadis à l’école de Reid, rougissent aujourd’hui de la philosophie du sens commun, et ne la trouvent plus digne de leur génie.

Assurément Kant est une bien autre puissance. Il remue à de bien plus grandes profondeurs le sol de la philosophie ; il s’empare d’autorité des intelligences, et, si on parvient à lui échapper, ce n’est pas sans une lutte douloureuse. Il a régné sans partage sur la philosophie allemande ; transplanté péniblement dans notre pays, son règne commence chez nous quand il est presque fini au-delà du Rhin, et que d’autres penseurs ont succédé à son influence et à sa renommée. Ce n’est pas une doctrine qui puisse entrer dans la vie d’un peuple ; elle n’attire que les hautes intelligences, et quiconque n’a jamais vécu dans ce monde de la métaphysique, si différent de celui des phénomènes, ne peut voir dans ce scepticisme fantastique qu’une sorte de poème qui donne le vertige à l’imagination. Quel poème cependant et quel poète ! Au dehors, la forme la plus ardue et la plus