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idéologie. Ce qui donne un caractère à la doctrine de Condillac, et en même temps ce qui la condamne, c’est qu’elle est une philosophie éminemment simple, qui n’a qu’un seul élément et un seul principe.

Descartes commence par un acte de foi, et c’est le caractère de toute saine philosophie. La science doit tout prouver, hors son principe. Si l’on donne une démonstration au principe lui-même, on ne fait plus qu’un cercle vicieux. La faute de Descartes, suivant M. de Rémusat, n’est pas seulement d’avoir quitté trop vite l’observation de la conscience, et de n’y avoir vu que la pensée ; c’est plutôt et avant tout de n’avoir pas du même coup fondé l’autorité de la conscience et celle de la raison pure. On a beau vouloir ensuite se mettre d’accord avec le sens commun ; on a beau multiplier les artifices logiques, et recourir, en désespoir de cause, à la véracité divine, il est impossible de ne pas compromettre la réalité du monde extérieur, du moment qu’on ne place pas sur la première ligne, avec la conscience que j’ai de moi-même, la faculté qui me donne le principe de contradiction et le principe de causalité, et par eux me rend capable d’affirmer le monde extérieur, ou plutôt m’y contraint. Lorsque Descartes nous dit « Je pense, donc je suis, » d’où sait-il que, pour penser, il faut être ; sinon parce qu’il possède le principe de substance ? Et même, s’il pense, à quelle condition peut-il penser, si ce n’est à la condition de posséder le principe de contradiction ? Descartes ne le nie pas, dit M. de Rémusat : il y a plus, quand on le presse, il l’affirme ; mais cette affirmation se cache dans la polémique, et ne prend pas place dans le système. La certitude reste attachée par excellence à la conscience que j’ai de ma propre vie, et c’est à cette faute de Descartes que Kant répondra plus tard, quand il dira : Je ne puis pas ne pas m’affirmer moi-même ; hors de moi je ne puis rien affirmer avec certitude.

Il restait donc une lacune à combler après Descartes dans la philosophie rationaliste. Il restait à faire l’analyse de la raison. L’école de Kant et celle de Reid ont accompli cette tâche, chacune à sa manière. C’est Descartes qui a fondé la psychologie, mais il ne l’a point faite ; il a donné l’exemple de conclure la métaphysique entière d’une donnée psychologique, mais cette donnée, telle qu’il l’a conçue, était incomplète ou insuffisante. Pour accomplir la méthode rationaliste et lui faire porter tous ses fruits, il fallait poursuivre plus loin que ne l’avait fait Descartes l’observation de la conscience, ne pas se jeter sur-le-champ dans la déduction, faire l’inventaire, dresser la liste des croyances que la nature nous impose, et qui nous appa-