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ESSAIS DE PHILOSOPHIE.

lution libérale, l’absolue indépendance de la pensée. Qui donc, si ce n’est lui, avait accoutumé les esprits à secouer les préjugés, à ne croire que sur démonstration, à mesurer les droits sur les devoirs, à compter pour le premier de tous les droits celui de chercher librement la vérité, de la propager sans entraves, et, dans la science, de ne relever que de la raison ? Il importe peu, sans doute, pour la philosophie, qui est de tous les pays et de tous les temps, que le rationalisme ait en France son origine et sa véritable patrie ; mais cela importe pour la France. Il nous importe de nous souvenir de Descartes et de Malebranche, et de ne pas renier nos plus glorieuses traditions.

Le livre de M. de Rémusat vient soutenir la bonne cause philosophique. Jeune encore, il en est un des vieux soldats. Ce même rationalisme, aujourd’hui victorieux, dont il expose et développe les bases dans ses Essais de philosophie, il l’a défendu, quand il renaissait sous la restauration, contre les partisans libéraux du sensualisme et contre les réactionnaires. Fidèle à sa carrière philosophique, le temps et l’expérience ont mûri et développé ses convictions sans les altérer ; et tel nous le voyons aujourd’hui, tel il était dans cette jeune et brillante phalange du Globe, qui a si généreusement combattu pour la philosophie et pour la liberté.

Que les évènemens reculent vite, surtout, quand une révolution les sépare de nous ! Toute la milice du Globe est encore à l’œuvre, et déjà, pour la génération nouvelle, ces luttes de la restauration sont presque de l’histoire ancienne. L’empire avait laissé subsister, dans les académies et dans les chaires, quelques idéologues, paisibles représentans des fougueux encyclopédistes, relégués par l’opinion publique dans des abstractions creuses sans application possible, et qui, loin de se plaindre de cet ostracisme, l’acceptaient de bonne grace, et se mettaient à composer des grammaires générales et à simplifier encore cette philosophie si arbitraire et si bien disciplinée de Condillac. Les libéraux, étrangers à la philosophie, voyant chez les idéologues le drapeau de l’Encyclopédie, les couvraient de leur respect, et croyaient la liberté intéressée à leurs innocentes recherches. À cette école épuisée, qui confessait pour ainsi dire sa propre impuissance, le parti réactionnaire opposait les théologiens, animés d’une vieille haine contre la philosophie, et à qui la colère plutôt que la conviction donnait de la force. M. Royer-Collard et après lui M. Cousin relevèrent dans l’Université la cause du rationalisme ; la persécution, loin de leur nuire, les servit ; elle les sauva du