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les degrés de l’autel. Le soleil levant inondait le chœur d’une tranquille lumière ; les tentures, les bannières suspendues aux piliers tremblaient sous le souffle matinal qui apportait jusqu’au fond du sanctuaire le sauvage parfum des bois. Aucun bruit ne se faisait entendre au dehors ni dans l’intérieur de l’église ; la voix seule du père Anselme s’élevait avec des accens mystiques et profonds au milieu de ce silence. Les moines, en habit de chœur et la tête couverte de leur capuchon blanc, étaient agenouillés et immobiles dans leurs stalles, comme ces morts qui attendent le jour de la résurrection dans les caveaux du couvent des cordeliers de Toulouse.

Après la messe, tous les moines défilèrent devant le grand-autel en faisant une profonde génuflexion, et se retirèrent à pas lents. Le maître des novices dit en passant à Estève :

— Mon cher fils, restez pour faire vos actions de grace ; dans un quart d’heure, vous viendrez nous retrouver au réfectoire.

Estève baissa la tête sur ses mains jointes et demeura plongé dans un recueillement mélancolique. En ce moment, son esprit pouvait à peine formuler une prière ; mais toute son ame s’élevait vers le ciel avec des élans de désir et d’amour. Le sentiment mystique s’était exalté en lui ; il commençait à éprouver ces mouvemens d’une chaste passion, ces emportemens d’une foi ardente qui mettaient sainte Thérèse aux pieds même du Dieu qu’elle adorait. Tandis qu’il était absorbé dans cette sorte d’extase, quelqu’un le toucha au bras, et une voix jeune lui dit tout bas : — Mon frère, est-ce que vous n’ouvrez pas le livre des psaumes ?

Estève releva vivement la tête. Celui qui venait de parler était un enfant de seize ans, dévot et simple d’esprit ; la veille, ils avaient été placés l’un près de l’autre au réfectoire, et ils avaient lié conversation. — Mon cher frère, répondit-il, j’ai manqué peut-être sans le savoir à quelque obligation ; je vous prie de m’expliquer ce que je dois faire.

— Ceci n’est pas une chose d’obligation, cher frère, dit le novice ; c’est seulement une pratique de dévotion bonne pour les ames qui viennent ici se donner à Dieu. Après la messe que sa paternité dit à notre intention le jour de notre arrivée, nous avons tous ouvert le livre des psaumes : le premier verset sur lequel s’arrêtèrent nos yeux fut comme une prophétie de notre vie future, une marque certaine que le Seigneur nous rejette ou nous ouvre ses bras.

Après ces avertissemens, le novice se hâta de s’éloigner, car il ne