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autour de lui. Au dernier verset, il releva la tête avec un mouvement de surprise, en s’apercevant que l’office était fini. Les novices sortirent du chœur les derniers ; ils marchaient en silence, d’un air recueilli, et les mains croisées sur leur poitrine ; mais cette gravité ne dura que le temps de gagner le petit cloître. Une fois dans leur quartier, ils retrouvèrent la parole et s’abattirent autour d’Estève comme une troupe d’oiseaux jaseurs.

— Mon cher frère, dit l’un, quelle impatience j’avais de me retrouver avec vous ! Jésus ! mon doux sauveur ! l’office m’a semblé deux fois plus long que de coutume.

— C’est singulier, répondit naïvement Estève ; il m’a semblé à moi que les vêpres n’avaient duré que le temps de réciter un Ave Maria.

— Dieu vous fait bien des graces, mon cher frère, dit un autre novice, qui avait, pendant l’office, bâillé sous son capuchon.

— Mon frère, vous êtes-vous déjà présenté devant dom prieur ? demanda un troisième.

Et sur la réponse affirmative d’Estève, il ajouta :

— C’est un terrible moment que celui où l’on comparaît pour la première fois devant sa paternité. Quand je fus en sa présence et qu’il me fallut répondre à ses questions, j’eus une si grande crainte, que je fus près de m’enfuir. En entrant ici, on a toujours comme cela des frayeurs chimériques. C’est le démon qui suscite tous ces troubles quand il nous voit près de lui échapper, et qui nous fait trembler à la porte de la maison de Dieu, comme si nous étions à la porte de l’enfer.

— Je vous assure, mon cher frère, que je n’ai rien éprouvé de semblable, répondit tranquillement Estève.

L’entretien continua ainsi. Les novices exprimaient le peu d’idées qu’ils avaient dans des termes qui n’étaient guère intelligibles pour les gens étrangers au langage des couvens. Il y avait dans leur conversation le plus singulier mélange de mysticisme et de puérilité. Le pauvre Estève, accoutumé aux paroles simples et sages de l’abbé Girou, ne les entendait pas toujours. Évidemment, pas un de ces jeunes gens n’avait reçu une certaine éducation, et ils appartenaient tous aux classes inférieures de la société. Dans d’autres temps, ils n’eussent pas été admis dans l’abbaye royale de Châalis ; mais à cette époque les ordres religieux se recrutaient à grand’peine, le clergé régulier avait déjà beaucoup perdu de sa considération, de son influence ; la génération nouvelle embrassait les nouvelles idées, bien peu de fils de famille songeaient à se faire moines, et les cloîtres se