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LE DERNIER OBLAT.

blaient dans le corridor. Ce n’était pas sans raison que le convers avait déploré l’éloignement de la génération présente pour l’état religieux ; jamais le père-maître n’avait gouverné un troupeau si peu nombreux ; il y avait à peine une douzaine de novices à l’abbaye de Châalis. Dès qu’Estève parut, il se vit entouré de cet essaim curieux et babillard. Tous lui serrèrent la main en répétant : — Soyez le bien-venu parmi nous, cher frère. — La plupart avaient tout au plus son âge, et semblaient conserver l’étourderie, l’insouciante gaieté de l’adolescence. Ils se prirent à parler tous ensemble comme des écoliers échappés de la classe ; mais un coup que le père Bruno frappa avec la main sur son bréviaire leur imposa silence.

— Mes chers fils, dit le père-maître, pour célébrer l’arrivée de ce nouveau frère, je vous donne récréation le reste du jour. Mais allons d’abord rendre grace à Dieu et dire l’office.

En entrant dans l’église, Estève se prosterna ébloui. Depuis qu’il était allé, tout enfant, entendre les orgues dans la cathédrale d’Aix, il n’avait plus assisté aux cérémonies du culte ; ses souvenirs ne lui retraçaient que la modeste chapelle où il priait chaque jour à côté de sa mère, et il n’avait aucune idée des magnificences que renfermait l’église abbatiale de Châalis. Agenouillé à la dernière place dans le chœur, il oubliait de suivre l’office, et, regardant autour de lui avec une religieuse admiration, il disait en son cœur : C’est ici le saint des saints, le tabernacle dont parle l’Écriture ! C’est ici la maison de Dieu !

En effet, le tableau était imposant. Le soleil, à son déclin, inondait de lumière la grande nef et les bas côtés de l’église, dont la porte ouverte laissait apercevoir un coin du paysage et au-delà de vaporeux lointains. Cette partie de l’édifice était déserte ; parfois cependant d’austères figures semblaient apparaître entre les piliers, au milieu des dorures éclatantes, sous le reflet des vitraux : c’étaient celles des saints et des apôtres sous l’invocation desquels étaient placés les vingt-deux autels des nefs latérales. L’enceinte où psalmodiaient en ce moment les moines était d’un style encore plus riche, plus splendidement beau : des boiseries d’un travail exquis, des tableaux, des tentures précieuses couvraient entièrement la pierre. Les murs du sanctuaire étaient pour ainsi dire à jour. Les hautes travées servaient comme de cadre aux immenses fenêtres à rosaces et à colonnettes dont les vitraux laissaient filtrer une lumière mélancolique.

Estève, absorbé dans la contemplation de ces magnificences, suivait machinalement les répons qu’entonnaient les novices groupés