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LE DERNIER OBLAT.

aspirer les vagues fraîcheurs qui circulaient dans l’air. De faibles gazouillemens commençaient à s’élever des arbres où la cigale avait répété son aigre chanson, tant qu’un rayon de soleil avait dardé sur son corselet gris. Déjà les vers luisans brillaient comme de pâles émeraudes dans les herbes du jardin, et les oiseaux nocturnes ouvraient leurs lourdes ailes sur la crête des vieux murs.

Le jardin de la Tuzelle était un terrain vague qui depuis nombre d’années n’avait reçu aucune culture. On y aurait vainement cherché les masses de lauriers-roses, les buissons de myrte, les fleurs rares que le vieux M. de Tuzel montrait avec tant d’orgueil, et dont ses deux charmantes filles faisaient jadis de si beaux bouquets. Les arbres indigènes avaient étouffé les arbustes exotiques ; de tous côtés, le figuier étendait ses vigoureux rejets, et, à l’ombre de ses feuilles larges et dures, les plantes délicates avaient toutes péri. Les rameaux vivaces de la vigne rampaient sur le sol, au lieu de s’élever en treilles et de mêler comme autrefois leurs pampres aux tiges élégantes du jasmin d’Espagne. Le jet d’eau était à jamais tari, et les figures en terre cuite des quatre Saisons, tombées de leurs piédestaux, n’étaient plus que d’informes débris épars entre les ronces. Mme Godefroi marchait silencieusement dans ce vaste jardin ; elle cherchait Estève et pensait le surprendre au milieu de sa récréation, tout rouge, tout essoufflé par quelqu’un de ces exercices violens auxquels se livrent volontiers les jeunes gens contraints à de longues heures de travail et d’immobilité ; pourtant aucun joyeux éclat de voix, aucun bruit de pas ne se faisait entendre, et la vieille dame allait au hasard, à travers ces sentiers qu’elle ne reconnaissait plus. Enfin elle aperçut Estève assis au fond du jardin. Il n’était pas seul ; une vieille servante attachée à la famille de Tuzel depuis un demi-siècle, et qui avait vu naître les deux sœurs, marmottait à côté de lui son chapelet. Estève, les coudes sur les genoux, le front dans ses mains, semblait absorbé dans quelque pensée triste.

— Mon cher neveu, que faites-vous donc là ? s’écria Mme Godefroi ; est-ce que vous récitez le rosaire avec Babeau ?

— Non, ma tante, répondit-il en rougissant comme s’il se fut surpris à commettre une faute, hélas ! non ; tandis que Babeau disait son chapelet à l’intention de ma mère, moi, j’oubliais de faire les répons.

— Et à quoi pensiez-vous donc, mon enfant ?

— Je n’ose presque le dire, murmura-t-il d’une voix mêlée de larmes qui tout à coup débordaient de son cœur. Il m’est venu une