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LE CHEVALIER DE TRÉFLEUR.

qui se cachait dans ce corps ? — Et la pauvre Marguerite se tordait les bras. — Oui, je suis Maldech, ma belle demoiselle, Maldech, l’amant de l’or, l’amant des diamans, l’amant des métaux, qui valent mieux que les femmes. J’ai épousé votre parure ; voyons, livrez-la-moi. — Et, d’une main brutale, il arracha le collier, les pendans d’oreille, le diadème, toutes les pierreries de Marguerite ; puis, prenant entre ses bras la jeune fille à moitié évanouie, il l’emporta dans une pièce voisine, et revint seul goûter, au milieu des trésors conquis, des jouissances semblables à celles dont s’enivre un forban au milieu d’un harem.

IX.

Le conseiller Bosmann dit à Marguerite : — Il faut absolument que tu épouses le chevalier de Tréfleur.

Il y avait eu scandale. Maldech, tout entier à ses sordides plaisirs, n’avait pensé à délivrer la jeune fille qu’en plein jour. Toute la ville avait connu son évasion nocturne. Quand Tréfleur reprit possession de son corps, on lui raconta en même temps le crime commis et la réparation exigée. Quoique le chevalier eût sur le mariage les idées les plus sceptiques, il consentit sans trop de peine à épouser une jolie fille qui lui apportait une assez bonne dot, et dont les naïfs attraits, pour me servir de son langage, formaient un contraste piquant avec les charmes séducteurs qui l’avaient jusqu’alors subjugué. Quant aux délicatesses de jalousie qui faisaient le tourment de Robert Wramp, il n’était guère en état de les ressentir. Comment se serait-il embarrassé d’un cas aussi excentrique, lui qui, sur les cas ordinaires de la lèse-fidélité conjugale, pensait comme La Fontaine et comme Voltaire ? Mais ce que le chevalier prenait avec tant de philosophie, l’artiste avait résolu de ne point le supporter. Il alla trouver le docteur Blum, et lui demanda par ce qu’il avait de plus sacré de faire cesser cette situation horrible. Le médecin lui répondit d’un ton solennel qu’il était impossible de défaire ce qu’une puissance plus forte que la sienne avait opéré par son moyen ; cependant il espérait pouvoir changer l’ordre et les époques fixés pour la possession successive du corps par les trois ames. Il le ferait à l’insu de Tréfleur, qui le matin conduirait la fiancée à l’autel, et qui, au lieu d’être remplacé le lendemain par Maldech, le serait le soir même par Robert Wramp. Il fallut se contenter de cette espérance. Marguerite jura que, si à minuit, c’était l’heure où l’ame du chevalier devait s’envoler, les promesses du docteur Blum ne s’accomplissaient pas,