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LE CHEVALIER DE TRÉFLEUR.

IV.

— Par la mordieu ! docteur Blum, les hôtes que vous avez forcé mon pauvre corps à recevoir en ont fait de belles ! À présent, me voilà atteint et convaincu, aux yeux de tout Coblentz, d’avoir perdu la raison. Encore, si la folie qu’on me prête était semblable à celle du marquis de Reissac, qui toutes les nuits fait allumer des candélabres et brûler des parfums pour recevoir la reine Cléopâtre, qu’il attend en habit de velours, la poitrine couverte de tous ses ordres ! Voilà une folie noble, distinguée, permise à un gentilhomme ; mais on me prête à moi une folie basse et honteuse, qui me fait parler tantôt en usurier et tantôt en joueur d’orgue. La démence n’est d’ordinaire que l’exaltation des penchans qu’on renferme en soi ; quels penchans on doit me supposer, grand Dieu ! Et puis, mon pauvre corps, dans quel état me l’a-t-on rendu ! Un jour un de mes valets prit un habit de cour dans ma garde-robe, et s’en alla courir la ville en marquis, comme Mascarille. Il s’était fait bâtonner partout ; il me rapporta mon habit déchiré, et marqué au dos de signes infamans. Docteur, j’ai pensé à ce drôle en rentrant ce matin dans mon corps ; il est fatigué, épuisé, harassé, les genoux sont contusionnés, la voix est enrouée, je trouve je ne sais quelle mauvaise odeur dans la bouche, on sent qu’il a été habité par des malotrus. Docteur, rendez-moi ma maladie si vous voulez, mais je veux rompre mon marché.

Ainsi parlait le chevalier de Tréfleur, appuyé sur le bras du docteur Blum, qui venait de l’arracher des mains du terrible Bagrobact. Le jeune médecin avait affirmé que le malade était parfaitement guéri ; et quoique les maisons de fous soient encore plus avares de leur proie que l’Achéron lui-même, force avait été au docteur Bagrobact de rendre à M. de Tréfleur sa liberté. — Monsieur le chevalier, répondit l’insinuant Blum d’une voix douce et caressante, monsieur le chevalier, ne vous irritez pas ; voyez, vos organes ne sont déjà que trop fatigués par les émotions successives de ceux qui en ont usé avant vous. Notre marché ne peut plus être rompu. Je suis entré en rapport avec vous, je vous tiens à présent sous ma puissance. Mais croyez que je n’oublierai rien pour rendre votre position plus tolérable. Les deux ames qui se sont si mal comportées sortaient d’un profond sommeil et étaient dans une ignorance complète de leur situation. Maintenant, je vais tout leur apprendre. Soyez sûr qu’une fois prévenues, elles se conduiront avec décence