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UNE JOURNÉE À LONDRES.

bord de la Tamise. Les vaisseaux passaient et repassaient devant les fenêtres, et semblaient presque entrer dans la salle ; on m’y servit, entre autres choses, un rump-steack d’une telle dimension, si flanqué de pommes de terre, de têtes de choux-fleurs, et arrosé d’une si abondante sauce aux huîtres, qu’il y aurait bien eu de quoi rassasier quatre personnes. On me conduisit aussi à une table d’hôte, dans une taverne près du marché au poisson à Billingsgate. J’y mangeai du turbot, des soles et du saumon d’une fraîcheur exquise. Au commencement du repas, le landlord dit les Graces, et à la fin le Benedicite, après avoir frappé sur la table avec le manche de son couteau pour commander l’attention.

Les cafés, coffee-room, ne ressemblent en rien aux cafés de France. Ce sont des chambres assez tristes, divisées en petits cabinets ou cloisons, comme les stalles des chevaux dans les écuries, et qui n’ont rien de l’éclat de nos cafés de Paris, étincelans de moulures, de dorures et de glaces. Les glaces, du reste, sont assez rares en Angleterre : je n’en ai vu que de fort petites.

Il y a aussi dans tous les quartiers de la ville des tavernes-poissonneries où l’on va manger des huîtres, des crevettes, du homard, le soir à la sortie du théâtre. Comme ces tavernes ne paient pas patente de marchands de vin et d’esprits, si vous voulez boire il faut donner de l’argent au garçon, qui va chercher, au fur et à mesure, ce que vous lui demandez à la boutique voisine

En fait de théâtre, je n’ai vu que l’Opéra-Italien et le théâtre français. Te parler de Mlle Forgeot, de Perlet, t’amuserait médiocrement ; je préfère te dire quelques mots de l’Opéra-Italien.

La salle peut lutter de grandeur avec celle de la rue Lepelletier ; mais ses dimensions sont acquises un peu aux dépens de la scène, qui est fort petite. Les spectateurs empiètent sur le théâtre. Il y a trois loges d’avant-scène entre la rampe et le rideau, ce qui produit l’effet le plus bizarre : les espaliers, les chœurs, n’ont pas le droit de s’avancer plus loin que le manteau d’Arlequin, car alors ils empêcheraient de voir les jeunes gentlemen placés dans les baignoires. Les premiers sujets seuls se postent sur le proscenium et jouent hors du cadre de la décoration, à peu près comme les figures d’un tableau qui seraient découpées et posées à cinq à six pieds en avant du fond sur lequel elles se meuvent. Quand, vers la fin d’un acte, par suite de quelque combinaison tragique, les héros sont poignardés et meurent près de la rampe, il faut les prendre sous les bras et les traîner à reculons en remontant vers le théâtre, pour que la chute du rideau ne les sépare pas de leur suite éplorée.