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leront en tout ce qu’il est possible de faire, et surtout dans ce qui est impossible. Ils établiront une société biblique à Pékin, ils arriveront à Tombouctou en gants blancs et en bottes vernies, dans un état de respectability complet ; ils inventeront des machines qui produiront six cent mille paires de bas à la minute, et même ils découvriront de nouvelles contrées pour écouler leurs paires de bas, mais ils ne pourront jamais faire un chapeau qu’une grisette française voulût mettre sur sa tête. — Si le goût pouvait s’acheter, ils le paieraient bien cher. Heureusement Dieu s’est réservé la distribution de deux ou trois petites choses sur lesquelles ne peut rien l’or des puissans de la terre : le génie, la beauté et le bonheur.

Cependant, malgré ces critiques de détail, l’aspect général de Londres a quelque chose qui étonne et cause une espèce de stupeur. C’est bien réellement là une capitale dans le sens de la civilisation. Tout est grand, splendide, disposé selon le dernier perfectionnement. Les rues sont trop larges, trop vastes, trop éclairées. Le soin des facilités matérielles est porté au degré le plus extrême. Paris, sous ce rapport, est en arrière de cent ans pour le moins, et, jusqu’à un certain point sa construction s’oppose à ce qu’il puisse jamais égaler Londres. Les maisons anglaises sont bâties très légèrement, car le terrain sur lequel on les construit n’appartient pas à celui qui les fait élever. Tout le terrain de la ville est possédé, comme au moyen-âge, par un fort petit nombre de grands seigneurs ou de millionnaires qui permettent d’y bâtir moyennant une redevance. Cette permission s’achète pour un certain temps, et l’on s’arrange de manière à ce que la maison ne dure pas plus que le bail. Cette raison, jointe à la fragilité des matériaux employés, fait que Londres se renouvelle tous les trente ans, et permet, comme on dit, de suivre les progrès de la civilisation. Ajoutez à cela que le grand incendie de 1666 a fait place nette, ce que je regrette fort pour ma part, moi qui ne suis pas très engoué du génie architectural moderne, et qui aime mieux le pittoresque que le comfortable.

L’esprit anglais est méthodique de sa nature ; dans les rues, chacun prend naturellement la droite, et il se forme des courans réguliers de gens qui montent et d’autres qui descendent. — Une poignée de soldats suffit à Londres, et encore ne s’occupent-ils pas de police. — Je ne me rappelle pas avoir vu un seul corps-de-garde : les policemen, un chapeau numéroté sur la tête, un bracelet à la manche pour montrer qu’ils sont en fonctions, se promènent d’un air tranquille et philosophique, sans autres armes qu’un petit bâton long de