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nière on sait exactement le nombre de gens qui ont traversé le pont dans la journée, et la fraude est impossible de la part des employés.

Pardonnez-moi si je vous parle toujours de la Tamise, mais le panorama mouvant qu’elle déroule sans cesse est quelque chose de si neuf et de si grandiose, qu’on ne saurait s’en détacher. — Une forêt de trois mâts au milieu d’une capitale, c’est le plus beau spectacle que puisse offrir aux yeux l’industrie de l’homme.

Nous allons, si vous voulez, pour être tout de suite au cœur des beaux quartiers, nous transporter, du pont de Waterloo, par Wellington-Street, dans le Strand, que nous allons remonter dans sa longueur. À partir de la jolie petite église de Sainte-Marie, si singulièrement posée au milieu de la rue, le Strand, qui est d’une énorme largeur, est garni de chaque côté de boutiques somptueuses et magnifiques qui n’ont peut-être pas l’élégance coquette de celles de Paris, mais un air de richesse et d’abondance fastueuses. — Là se trouvent les étalages de marchands d’estampes où l’on peut admirer les chefs-d’œuvre du burin anglais si souple, si moelleux, si coloré, et par malheur appliqué trop souvent aux plus mauvais dessins du monde ; car, si le graveur anglais est supérieur comme outil, le graveur français l’emporte de beaucoup sur lui pour la perfection du dessin. — Le portrait de la reine Victoria rayonne sous toutes les formes possibles à toutes les devantures : tantôt elle est revêtue de ses habits royaux, couronne de diamans et manteau de velours, tantôt en simple jeune femme, une rose dans les cheveux, seule ou accompagnée du prince Albert ; une gravure les montre côte à côte dans le même tilbury, et se souriant de l’air le plus conjugal du monde. Je ne crois pas exagérer en disant que le portrait de la reine Victoria est au moins aussi commun en Angleterre que le portrait de Napoléon en France. Le petit prince est aussi fréquemment portraituré, et chez les marchands de jouets d’enfans il y a des espèces de pêches de cire qu’on appelle fruits de Windsor, et qui en s’ouvrant laissent voir couché dans ses langes un marmot abondamment fardé de laque, qui a la prétention assez mal fondée de représenter le prince de Galles. — Il faut dire aussi que si les portraits adonisés, flattés, embellis, caressés amoureusement par un burin courtisan, sont en majorité, il ne manque pas non plus de grossières pochades crayonnées avec la verve humoristique des caricatures anglaises qui traitent her majesty aussi cavalièrement que possible. — À propos de marchands de jouets d’enfans, je fis la re-