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galerie dans l’autre. La longueur du tunnel est de treize cents pieds. Le lit du fleuve au-dessus de la voûte a quinze pieds d’épaisseur.

L’on débarqua. Ne sachant pas un mot d’anglais, je ne laissais pas que d’être un peu inquiet sur la manière dont j’allais m’y prendre pour trouver la personne à laquelle j’étais adressé. J’avais écrit fort correctement sur une carte le nom de la rue et le numéro de la maison ; je montrai le tout à un cocher, qui heureusement savait lire, et partit pour l’endroit indiqué avec la rapidité de l’éclair. Les plaisanteries, fort bonnes à Paris sur la lenteur des chevaux de fiacre et de cabriolet, seraient fort mauvaises à Londres, où les voitures de place vont aussi vite qu’ici les équipages les mieux attelés : la voiture dans laquelle j’étais assis, et qui répond à peu près à nos citadines, avait la forme la plus à la mode maintenant à Paris : des roues très basses, une portière droite et carrée comme un battant d’armoire, toute la physionomie d’une chaise à porteur montée sur roulettes. Ce genre de voitures, qui est le suprême de l’élégance chez nous, n’est affecté à Londres qu’aux voitures de place. L’intérieur en est garni tout simplement de toile cirée. Le cocher donne un sol au pauvre diable qui ouvre la portière, ce qui n’a pas lieu en France, où c’est le voyageur qui paie le valet de place. La course se calcule sur le pied d’un schelling par mille, et se rétribue selon la longueur. Pour en finir avec les voitures de place, ce que j’ai vu de plus singulier, ce sont des cabriolets très bas, où le conducteur n’est pas placé à côté de vous, comme dans nos cabriolets de régie, ni par devant, comme dans nos cabriolets à quatre roues, mais bien par derrière, à l’endroit où sont assis ordinairement les domestiques : les guides passent sur la capote, et le cocher conduit par-dessus votre tête. Ces petits détails paraîtront peut-être fort mesquins aux amateurs de dissertations esthétiques, aux admirateurs jurés de monumens, aux commissaires-priseurs d’antiquités ; mais c’est tout cela qui constitue la différence d’un peuple à un autre, qui fait qu’on est à Londres et non pas à Paris.

Pendant que la voiture parcourait avec vélocité les rues qui séparent la douane de High Holborn, je regardais par la vitre, et j’étais dans un profond étonnement de la solitude et du silence profonds qui régnaient dans les quartiers où je passais. On eût dit une ville morte, une de ces cités peuplées d’habitans pétrifiés dont parlent les contes orientaux. Toutes les boutiques étaient fermées, aucun visage humain ne paraissait aux carreaux des fenêtres. À peine quelque rare passant qui filait comme une ombre en longeant les