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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

une impérieuse nécessité, et il faut se borner à constater le fait sans trop chercher à le qualifier ; mais d’après ce fait on ne comprend pas que l’on ait voulu, plus tard, attribuer aux prêtres et aux moines la conservation des manuscrits. Malgré cette première persécution, on devrait certainement beaucoup de reconnaissance aux moines, si, après les invasions barbares, ils avaient au moins cherché à conserver les manuscrits classiques qu’ils pouvaient se procurer ; mais rien n’annonce qu’ils l’aient tenté, et ils paraissent, au contraire, s’être exclusivement occupés de réunir et de faire copier les ouvrages ecclésiastiques, sans vouloir admettre dans leurs bibliothèques les livres des plus beaux génies de l’antiquité. Nous possédons encore les premiers catalogues des plus anciennes abbayes de l’Europe, entre autres le catalogue des manuscrits du Mont-Cassin, et l’on n’y rencontre presque jamais un ouvrage classique.

Au reste, nous ne voulons pas dire qu’il n’y eût pas de temps en temps, dans le cloître, des religieux aimant les lettres et l’instruction, et qui cherchaient avidement les manuscrits des auteurs anciens. La France peut citer avec orgueil deux des hommes qui ont certainement contribué le plus à la conservation des classiques. Ces deux hommes sont Loup de Ferriere et Gerbert, qui, au IXe et au Xe siècle, ont fait les plus grands efforts pour se procurer de tous côtés les écrits des anciens. Malheureusement leur sollicitude pour ces monumens littéraires de l’antiquité ne se perpétua pas dans les couvens où ils avaient résidé. Gerbert, lorsqu’il était abbé de Bobio, n’épargnait aucune démarche pour se procurer d’anciens ouvrages ; mais, après lui, les moines de cette célèbre abbaye, loin de garder soigneusement ces précieux manuscrits, établirent une espèce d’atelier de destruction, et, grattant ou lavant impitoyablement les vieux parchemins, ils substituaient aux ouvrages des plus grands écrivains de l’antiquité des traités de liturgie ou des glossateurs. C’est ainsi que le traité de la république de Cicéron, que Gerbert avait cherché à se procurer, fut gratté à Bobio par des moines qui voulaient se servir du même parchemin pour copier un traité de saint Augustin.

Le mépris des moines pour les classiques ressort, comme nous venons de le dire, des catalogues que nous possédons encore des plus riches abbayes. Les bibliothèques de Clairvaux et de Citeaux, qui se composaient de plusieurs milliers de volumes, et où toutes les parties de la scholastique, de la discipline, du droit canon, où toute la science monacale en un mot était enseignée dans une foule de manuels, d’abrégés, de traités mnémoniques divers, ne contenaient