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LE SALON.

en fut le restaurateur par ses peintures et par ses écrits. Nous voyons aujourd’hui, au salon, les derniers restes de son école dans les paysages de MM. Victor Bertin et Bidauld. Cette école tout académique ne produisit rien d’original ; elle opérait artificiellement d’après des théories et des traditions d’atelier ; elle ne s’adressa pas à la nature, qui est le seul bon maître de style comme de tout autre chose. Michallon, qui promettait tant, ne fut qu’une brillante, mais courte apparition.

L’héritage du Poussin, de Cl. Lorrain et du Gaspre n’est pas tombé, comme on voit, en de très bonnes mains depuis deux siècles ; mais, si nous ne sommes dupe de quelque illusion, il nous semble que la génération actuelle est destinée à le faire valoir. Depuis quelques années, ainsi que nous l’avons dit, un mouvement inaccoutumé s’est manifesté dans le paysage, et les talens qui s’y produisent sont à la fois assez forts, assez nombreux et assez variés pour donner déjà plus que des espérances.

Parmi nos paysagistes actuels, M. Aligny est celui de tous qui a cherché avec le plus de sérieux et de décision à renouer la chaîne de l’école idéaliste, dont Poussin est resté le type. Il n’en est pas un qui ait autant de tendance à s’écarter de l’imitation directe et matérielle de la réalité, et à la représenter moins comme il la voit que comme il la conçoit. Cette tendance se montre d’une manière évidente, même dans ses Études et Vues d’après nature, qu’il traite en général avec une grande indépendance, et on doit, à plus forte raison, s’attendre à la voir prédominer tout-à-fait dans ses paysages composés. Parmi les contemporains, il est certainement le seul qui fasse, dans un sens rigoureux, des paysages de style, à moins qu’on ne consente à regarder comme tels ceux de MM. Bidauld et J. Victor Bertin, qui n’offrent guère que la parodie du genre. Il y a quelques années, M. Aligny donna dans son Prométhée la première, je crois, et, sans aucun doute, la plus remarquable des compositions qu’il ait exécutées dans ce système. On a vu au précédent salon ses Bergers de Virgile. Cette année, il a exposé, sous le titre d’Hercule combattant l’hydre de Lerne, une œuvre tout-à-fait analogue aux précédentes par la conception, le style et la manière. Le plan général, si l’on peut s’exprimer ainsi, du dernier ouvrage de M. Aligny, a de la grandeur ; il nous place au milieu de la sombre solitude de Lerne, dans le creux d’un vallon lentement parcouru par un ruisseau dont les eaux noires et pesantes semblent se traîner avec peine à travers les replis tortueux du terrain. Au centre et à quelque distance, la vue est bornée par une masse de roches taillées