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plus de l’art. Même dans le paysage-portrait, la réalité n’est qu’un thème dont le développement est toujours subordonné à la manière de voir et de sentir de l’artiste, qui nous donne la chose non telle qu’elle est, mais telle qu’il l’aperçoit. C’est qu’en effet la réalité a mille faces, mille aspects, tous vrais, tous visibles, suivant le milieu et la position de celui qui la contemple. Mais l’art ne peut en saisir et en fixer qu’un à la fois, et c’est même là sa fonction supérieure de mettre successivement en saillie, avec l’exagération qui est de son essence, quelqu’un de ces aspects qui, confondus pêle-mêle et neutralisés l’un par l’autre dans la réalité, pourraient rester à jamais inconnus ou n’être aperçus que fortuitement par quelques yeux privilégiés exercés à les chercher, et capables de les discerner. C’est sous ce rapport et seulement ainsi que l’art est l’interprète de la nature. De ces conditions résultent les différences sans nombre des œuvres des paysagistes. Il y a autant de natures que de peintres, bien qu’ils puisent tous à la même source. La nature ne parle pas la même langue, ne rend pas le même son, si l’on nous passe ces images, dans les traductions de l’art. Douce et paisible dans Wynants, triste et tourmentée dans Ruysdaël, riche et éclatante dans Claude Lorrain, grandiose et sublime dans Poussin, élégante et noble dans le Titien, agitée et sombre dans Backuysen, gaie et resplendissante dans Rubens, grave et simple dans J. Vernet, effrayante et sinistre dans Salvator Rosa, elle est tout ce que l’art la fait être. La distinction entre les deux écoles de paysagistes ne doit donc être admise que sous ces restrictions.

Par une singulière fortune, avons-nous dit, c’est la France qui a produit les deux plus grands paysagistes. Ils eurent des imitateurs habiles tels que le Gaspre, leur égal peut-être, Stella, Séb. Bourdon, Patel. Ce sont là de bons précédens. Ils se produisirent au XVIIe siècle, qui fut l’âge d’or du paysage. Après ces maîtres, ce genre déclina avec tous les autres, bien qu’il puisse, à la rigueur, se développer isolément. Le XVIIIe siècle fut très pauvre en paysagistes français. Nous n’y trouvons qu’un grand talent parmi les peintres de marines, celui de J. Vernet. Avec ce maître qui a peu de supérieurs, c’est à peine si on se rappelle quelques noms, tels que ceux des trois Francisque, de Lantara et autres du même rang. La plupart de ces artistes suivirent, en général, les traces de Claude Lorrain et préférablement de Poussin, qui domine l’école française dans tous les genres. Lors de la réforme opérée par David, le paysage se tourna naturellement vers le style héroïque qui était de mode ; Valenciennes