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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

passion dont le monde est épris pour la beauté et les rêves qui sont venus enchanter la terre. Pour faire dignement ce récit, il faut un esprit hospitalier à toutes les admirations, et l’on ne sera pas surpris que les pages sur la littérature et sur l’art soient les plus belles du livre de M. Quinet. Nous ne comprenons un chef-d’œuvre, nous ne saisissons son intime secret qu’au moment où l’enthousiasme qui l’a inspiré s’allume aussi dans notre ame. M. Quinet a cette sympathie qui fait vivre de l’ame des peuples et des grands poètes. Il a compris également le génie tendre et mystique, les royales idylles, les majestueuses rêveries de l’Inde, le sévère enthousiasme, l’élan rapide, le trouble pathétique de la poésie hébraïque, et le repos harmonieux des immortels de l’Olympe, de ces dieux d’Homère et de Phidias qui règnent par leur beauté. Cette intelligence universelle de tout ce qui est beau est un des bonheurs de notre époque, et chose nouvelle en France surtout, où naguère on n’admirait que les Grecs et les Latins. Encore les jugemens de La Harpe sur Eschyle et Sophocle ont-ils à peu près le mérite de ceux de Schlegel sur notre théâtre. Aujourd’hui nous savons accueillir les génies de tous les siècles, et personne ne les a mieux fêtés que M. Quinet.

On voit l’impression que laisse son livre. Au point de vue d’une méthode rigoureuse, il est prématuré ; mais on a beau vouloir se défendre, l’éclat du style et la générosité de la pensée ont un charme qui fait plus d’une fois oublier l’incertitude des résultats. On est assuré, avec M. Quinet, de goûter ce noble plaisir de vivre que donnent les sentimens élevés ; il ne souffre rien de médiocre pour l’homme : cette grandeur ne devait pas lui faire défaut dans un sujet pareil, et l’on n’a jamais à craindre de sa part les idées mesquines que l’on rencontre trop souvent chez ceux qui l’ont traité avant lui. Quand il deviendra possible de faire l’histoire des religions anciennes, il faudra pour cette œuvre, avant tout, la plus vaste et la plus minutieuse érudition et la critique la plus pénétrante. Le sévère génie de la méthode ne suffira pas cependant. Pour bien saisir des temps aussi différens des nôtres que ceux de la mythologie, pour ne pas relever seulement leur image morte, pour redonner une ame à un passé aussi étrange et comprendre sa vie, il faut savoir dépouiller l’homme moderne et revêtir l’homme antique ; cela ne se fait pas sans le secours d’une rapide intuition, d’une intelligence sympathique comme celle des poètes, et d’une imagination puissante. L’histoire des religions est ensuite la plus grande de toutes : c’est elle qui raconte les pensées les plus sublimes et les scènes les plus solennelles ; un esprit élevé et ma-