Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
DU GÉNIE DES RELIGIONS.

retrouvons : dans la Grèce et à Rome, il grandit avec la liberté. Ces républiques anciennes, dont le nom réveille tant de généreux souvenirs, étaient pourtant fondées sur une odieuse injustice. Cet homme sans nom, sans volonté, sans famille, sans patrie, cette chose, ce néant qu’on appelle esclave, était leur soutien nécessaire. Ôtez-le, ce bel édifice s’écroulera. Jamais sans doute on ne verra plus sur aucune place publique se presser une aussi noble foule que sur le pnyx d’Athènes ou le forum de Rome ; mais, pour se donner ainsi tout entiers au soin de la liberté, de la patrie et de l’art, ces citoyens devaient abandonner le reste. Sans l’esclavage, tant de génie et d’héroïsme n’aurait pas été possible. Ce qu’il y a encore ici de remarquable, c’est que les plus éclairés, les plus désintéressés de ces républicains le considéraient, je ne dis pas comme utile, mais comme juste ; il leur semblait légitime, et ils y étaient pourtant eux-mêmes exposés à chaque nouvelle guerre.

Un préjugé aussi universel doit reposer sur une croyance. Point de polythéisme sans esclavage. Un certain rapport existe donc entre eux. L’unité humaine fut brisée quand chaque peuple adora des dieux différens. Chaque nation considérait les autres comme barbares, moralement et religieusement déchues, inférieures de tout point, et toutes les inégalités se trouvaient sanctionnées par là. Comment d’ailleurs l’esclave se serait-il plaint de son abaissement ? S’il levait les yeux au ciel, il y voyait sa sentence confirmée. La servitude y était montée. Les dieux étaient partagés en divers ordres : au sommet un monarque de l’univers, puis les grands dieux, superbes, oisifs, qui n’ont qu’à respirer l’encens et à recevoir des hommages ; au-dessous une tourbe de dieux inférieurs, les uns enchaînés, fers aux mains et aux pieds, comme les Titans et les dieux dépossédés ; les autres, infatigables ouvriers, cyclopes, telchines, cabires, véritables prolétaires du ciel, qui, dans les ateliers de la nature, sont livrés à un labeur sans salaire et sans fin. Polythéisme, esclavage, ces deux systèmes s’appelaient l’un l’autre. Pour y remédier, il fallait non pas réformer, mais détruire la société antique. Pour effacer la servitude sur la terre, il fallait l’effacer dans le ciel ; car, si Dieu est partout égal à lui-même, l’homme fait à son image est partout l’égal de l’homme, et, avec l’unité de Dieu, les castes et la servitude disparaissent à la fois.

M. Quinet signale également l’influence des révolutions religieuses sur le développement de l’art et de la philosophie. La pensée n’a-t-elle pas en effet pour principes les idées éternelles, et l’histoire de