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sur une route où passe un brahmane, ils sont poursuivis et tués pour que le saint personnage ne respire pas le même air qu’eux. Le seul moyen qu’ils ont de se protéger alors est de pousser un grand cri pour avertir de loin de leur voisinage et prendre le temps de se cacher dans le fourré. Quand ils sont pressés par la faim, ils s’approchent des villages, crient, déposent à terre des corbeilles tressées, se retirent à l’écart, et viennent ensuite prendre les alimens laissés en échange de ce qu’ils ont offert. On n’est pas surpris que, dégradés à ce point, ils aient presque perdu la physionomie humaine, et que leur langue soit à peine articulée. Cette abjection a cependant son orgueil et sa hiérarchie ; ces malheureux ont tous à mépriser quelqu’un qui leur semble plus vil qu’eux. Les Pouléahs ne se mésallient jamais avec les Parias, et les Niadis, qui sont si impurs, qu’un esclave se souille à leur contact, refusent de manger à la même table qu’un Européen.

Ces lois barbares étonnent d’autant plus qu’elles sont reçues par un peuple doux et affectueux. Une suave mansuétude respire dans sa poésie et donne à son imagination les graces du cœur : il n’a rêvé que touchantes amours et inépuisables fidélités. Cette forêt où se cachent les Parias est celle aussi où se promènent Sacontala et ses charmantes sœurs ; elles vivent de pitié, elles ont l’ame malade d’une infinie tendresse, elles savent plaindre l’insecte caché dans l’herbe, les fleurs de la solitude, les oiseaux qui chantent dans le feuillage, et elles n’ont pas été émues de compassion pour les plus infortunés des hommes.

Une erreur religieuse peut seule dénaturer l’homme à ce point. Le panthéisme explique suffisamment les castes : son dieu, qui se démembre dans la nature, se démembre aussi dans la société. Tous les hommes viennent de lui et n’ont pourtant pas la même origine. Les brahmanes sont sortis de sa bouche, les kchatryas sont formés de ses bras, les vaisyas de ses cuisses, les soudras de ses pieds. Plus le dieu se démembre et les dieux inférieurs deviennent nombreux, plus aussi l’état se divise et les castes se multiplient. C’est là où le panthéisme a été le plus puissant que l’institution des castes a été la plus solide. Dans la Perse, elles sont moins marquées, les Juifs ne les ont pas connues ; en Chine, elles n’ont jamais existé, le bouddhisme les a abolies partout où il les a rencontrées, et le dieu de Mahomet a établi l’égalité civile dans toutes ses conquêtes.

L’esclavage a plus d’un rapport avec les castes, mais il est bien plus général : il n’y a pas de pays où il n’ait existé. Partout nous le