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prêtresses les ménades échevelées. Au printemps, quand ils renaissaient dans la nature, ils réveillaient la fiévreuse jeunesse du sang, ils rallumaient les brûlans désirs, et leurs adorateurs, par piété, croyaient devoir se livrer à une licence effrénée. Le Christ dont l’église célèbre alors aussi la résurrection, lui commande de mourir à la chair, au lieu de vivre à elle ; il ne réforme pas la loi des anciens dieux, il l’abolit, et en promulgue une absolument contraire.

Il n’y a entre le christianisme et le panthéisme devant la pensée qu’une seule différence : l’un distingue, sans les désunir, le créateur de la créature, et maintient sa personnalité ; l’autre abîme Dieu dans l’univers et le disperse dans l’infinie multitude des êtres. Du reste, ils se ressemblent à s’y méprendre. Cela s’explique : le panthéisme, qui adore Dieu dans la nature et l’humanité, retrouve en elles du moins ses traits empreints, et possède ainsi son image. Cette unique différence, qui, dans l’ordre de la pensée, n’est qu’un fil d’or à peine visible, s’entr’ouvre comme un abîme dans l’ordre moral, et, si les dogmes se touchent par tous les points, les volontés ne se rencontrent par aucun. Le panthéisme divinise les passions, nous égare dans tous les attraits sensibles, nous emprisonne dans l’univers, et ne connaît au-delà que la nuit du néant, ou je ne sais quel insaisissable fantôme sans forme et sans réalité, qui ne mérite point de nom. Il nous refuse Dieu en un mot ; le christianisme nous adresse à lui, et ne permet les autres affections qu’après les avoir consacrées et transfigurées par cet amour suprême qui prête à tout son éternité, son immensité. Les deux volontés qu’ils donnent sont donc incompatibles ; l’une mène si peu à l’autre, qu’elle en détourne ; elle y prépare si mal, qu’elle est son seul obstacle, car elles décident en sens contraire la grande alternative qui nous est offerte relativement à Dieu. Entre religions, il ne peut pas y avoir de contradiction plus importante. Le christianisme et le panthéisme cachent donc sous le même vêtement des dieux ennemis, et sous des traits pareils deux ames toutes différentes.

Tout cela n’est encore que la moitié du livre de M. Quinet. L’histoire des cultes n’est que le commencement de ce qu’il s’est proposé. Il a voulu déduire aussi la société civile de l’institution religieuse, et montrer comment la vie entière des peuples, gouvernement, art, science, se rattache à leurs croyances et dépend d’elles. Il ne faut pas chercher, en effet, le vrai secret des choses humaines sur les champs de bataille, ni sur les places publiques, ni dans les palais : on doit le demander plutôt au désert où s’alluma le buisson ardent et aux