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prouve et le contredit à la fois, elle le consacre et l’abolit. Les autres religions de l’Orient sont toutes unies dans un vaste catholicisme, unanimes, malgré leurs différences, à prosterner l’homme devant la nature, à lui faire adorer l’univers comme l’incarnation de Dieu. Voici maintenant l’homme affranchi de la fatalité et du panthéisme : il détourne ses regards du monde pour les élever à un dieu spirituel, personnel et libre, devant qui le monde n’est rien, et qui, loin de lui communiquer sa divinité, la garde tout entière pour soi. Ne cherchez pas dans les sanctuaires de l’Inde, de l’Égypte, de Babylone, le pareil de Jéhovah ; vous ne le trouveriez pas. Élevez, agrandissez, transfigurez, autant que vous le voudrez, Brahma, Osiris, Baal ; jamais vous n’aurez que l’apothéose de la nature, à savoir de ce qui n’est rien devant leur rival ; toujours vous demeurerez éloigné de lui de toute la distance du néant à l’être. Toutes les harmonies de Jéhovah sont avec le désert, comme celles de Brahma avec l’Océan. Ce Dieu qui devait arracher violemment l’homme au culte de la nature, et lui faire oublier l’enchanteresse, le conduit pour cela dans une solitude d’où elle soit en quelque sorte exilée. Il se manifeste dans la nue immensité du désert ; il en a la grandeur, les flammes, et la majesté immuable, sévère, incorruptible.

Ce dieu personnel et libre donne à l’homme pour la première fois une vive conscience de sa liberté, et avec elle le génie du progrès, la pensée de l’avenir, le pressentiment du lendemain, le don de la prophétie. Le dieu du panthéisme ne se révèle que dans les mille changemens de la nature, et sous toutes ces apparences demeure pourtant toujours égal à lui-même. Avec cette identité permanente, les instans de la durée, les âges qui se succèdent, ne peuvent plus se distinguer nettement ; ils ne sont que jeux et illusions, il n’y a pas de suite véritable, il n’arrive réellement rien de nouveau ; le passé, l’avenir, ne deviennent plus que des noms différens d’une même et monotone présence ; le temps vacille et se trouble, et il ne reste à sa place qu’une vague et confuse éternité. La fatalité d’ailleurs, ce dogme du panthéisme, conseille une résignation qui devient indifférente au lendemain et ne se fatigue plus à l’interroger. Le travail de l’avenir, au contraire, tourmentait les Hébreux. Pleins de l’idée du Dieu vivant et vrai, ils savaient que les idoles des nations n’étaient que mensonges. Autour d’eux, ils voyaient des sanctuaires debout, des sacerdoces puissans, des empires florissans, et cependant ils prédisaient hardiment que ces gloires ne laisseraient d’elles qu’une grande désolation. À côté du sacerdoce régulier de Lévi s’en éleva