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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

invisible présence, tout leur racontait un religieux mystère ; la nature était pour eux tout à la fois un prophète, un temple et plus encore, l’idole même du Dieu au pied duquel ils s’abattaient. Ils voyaient dans l’ordre de la création celui qu’ils devaient imiter sur la terre : l’univers leur apparaissait comme l’éclatant modèle de la société religieuse et civile ; tout était à leurs yeux un avertissement divin. Ils suivaient dans leurs migrations le vol des oiseaux sacrés ; puis, quand ils s’arrêtaient, ils réglaient leurs cités sur les nombres et les régions du ciel. Avec cette habitude et ce besoin du symbole, leurs pensées se traduisaient instinctivement en images. L’art leur servait d’interprète et de parole. Ils sculptaient les rochers en un peuple de colosses, les creusaient en temples souterrains, les entassaient en pyramides, multipliaient partout ces monumens que le voyageur étonné rencontre aujourd’hui au milieu des sables, dans la solitude des forêts, dans des retraites abandonnées, et transformaient aussi les évènemens de la vie en une suite de fables merveilleuses qui chantent l’histoire primitive des hommes aussi bien que celle des dieux.

Les hymnes des Védas, qui font revivre l’époque patriarcale, sont l’expression de la société la plus ancienne. Ils correspondent à la condition la plus simple dont la tradition donne l’idée : point d’état, pas de gouvernement visible : mais des tribus, des chefs de famille qui promènent leurs troupeaux sur les pentes de l’Himalaya, marquant leurs stations par un cantique et une pierre sacrée. Ces nobles bergers, ancêtres des rois et des pontifes, contemplent de leurs tranquilles gazons la plaine encore ignorée qui attend une postérité moins heureuse : ils demandent aux dieux la santé, des troupeaux nombreux avec un lait abondant, l’herbe nouvelle, un abri contre la bête fauve, surtout une longue vie. Mais, au milieu de cette agreste simplicité, des accens sublimes s’échappent et trahissent les grandes pensées que l’on respire avec l’air des montagnes. Au matin de l’humanité, ce peuple de pasteurs salue Dieu dans les clartés de la première aube qui dissipe les tristesses de la nuit, dans l’aurore qui apporte les discours sincères et dévoile les fautes cachées, dans la lumière sans voile, dans le soleil, dans le jour d’Orient, Indra, roi du ciel et de la terre. La langue de ces bergers ressemble singulièrement à nos langues. Ces mots antiques et pourtant compris charment l’oreille et font illusion ; il semble, à les entendre, que les âges anciens, séparés de nous par tant de douleurs, ne sont que d’hier. Ces mots que nous avons gardés des premiers pâtres portent jusqu’à