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Celui de tous assurément qui se ressentit et profita le mieux de la couronne odorante est Ronsard. Ce que j’ai pu conjecturer de l’Avril, ne peut-on pas aussi le penser sans trop d’invraisemblance de ces délicieux couplets : Mignonne, allons voir si la rose…, où une fraîcheur matinale respire ? Après deux ou trois journées d’Anacréon, cela doit venir tout naturellement, ce semble, au réveil. On composerait le plus irréprochable bouquet avec ces imitations anacréontiques (et je n’en sépare pas ici Bion ni Moschus), avec un choix de ces pièces qui ont occupé tour à tour nos vieux rimeurs et notre jeune Chénier. Ne pouvant tout citer, et l’ayant fait très fréquemment ailleurs, j’en présenterai du moins un petit tableau pour les curieux qui se plaisent à ces collections ; eux-mêmes compléteront le cadre :

L’Amour endormi, de Platon, a été traduit par André ;

L’Amour oiseau, de Bion, l’a été par Baïf (Passe-temps, liv. II) ;

L’Amour mouillé, d’Anacréon, par La Fontaine, qui ne fait pas tout-à-fait oublier Ronsard (Odes, liv. II, XIX) ;

L’Amour laboureur, de Moschus, par André encore ;

L’Amour prisonnier des Muses, d’Anacréon, et l’Amour écolier, de Bion, par Ronsard (Odes, liv. IV, XXIII, et liv. V, XXI) ;

L’Amour voleur de miel, d’Anacréon à la fois et de Théocrite, après avoir été traduit assez sèchement par Baïf (Passe-temps, liv. I), et prolixement imité par Olivier de Magny (Odes, liv. IV), a été ensuite reproduit avec tant de supériorité par Ronsard (toujours lui, ne vous en déplaise), que je mettrai ici le morceau, ne fût-ce que pour couper la nomenclature :

Le petit enfant Amour
Cueilloit des fleurs à l’entour
D’une ruche, où les avettes
Font leurs petites logettes.

Comme il les alloit cueillant,
Une avette sommeillant
Dans le fond d’une fleurette
Lui piqua la main douillette.

Si tot que piqué se vit,
Ah ! je suis perdu (ce dit) ;
Et s’en-courant vers sa mère
Lui montra sa playe amère :

Ma mère, voyez ma main,