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REVUE — CHRONIQUE.

tissemens ne manquèrent pas aux Anglais. Quand Burnes fut envoyé pour négocier un traité avec le khan de Khélat, ce chef lui dit qu’il savait bien que les armées anglaises pouvaient entrer dans l’Afghanistan, mais, ajouta-t-il, comment en sortiront-elles ?

Il y a peu de jours encore un membre radical de la chambre des communes déclarait que, pour sa part, il ne consentirait pas à ce qu’un seul shelling de la taxe anglaise fût employé à la guerre de l’Afghanistan, parce que les Afghans combattaient pour leur indépendance. Sir Robert Peel lui répondit « Quand la question de la campagne de Caboul fut discutée dans le parlement, j’exprimai toutes les craintes que j’éprouvais alors sur la prudence de cette expédition, et je rendis en cette occasion un léger, quoique bien juste hommage, au brave et éminent officier qui vient d’être sacrifié dans l’Asie, Alexandre Burnes. Je citai alors son opinion, qui était que toute tentative pour rétablir le shah Soudja sur le trône qu’il avait perdu était à ses yeux destinée à un échec certain. Je déclarai moi-même que vouloir rétablir le shah Soudja sur le trône des Afghans, c’était absolument comme si nous avions voulu rétablir Charles sur le trône de France. »

Cette entreprise était donc condamnée par les hommes les plus expérimentés de la Grande-Bretagne. Toutefois, remarquons bien que, si l’Angleterre a commis une grande faute en 1835, cette faute a été non pas, comme on pourrait le croire, de conquérir l’Afghanistan, mais de lui imposer un souverain tombé dans le mépris public. L’Angleterre n’était pas libre de ne pas faire cette nouvelle conquête. Dans l’Asie, elle ne peut avoir que des amis et des ennemis : toute puissance neutre est pour elle une puissance ennemie. Lord Auckland écrivait au gouverneur de la métropole (12 mai 1838), en parlant du Dost : « Quoiqu’il ne donne point prise à des mesures directes d’hostilité, cependant il doit être considéré comme un homme de sentimens plus qu’équivoques, occupant une position où il est de la plus grande importance pour la tranquillité de nos territoires que nous avons des amis assurés. »

On parle beaucoup de l’ambition anglaise et des envahissemens de l’Angleterre dans le monde entier. Pour notre part, ce qui nous frappe le plus dans l’histoire de la domination britannique aux Indes, ce n’est pas tant le progrès constant, l’expansion illimitée de cette domination, que la résistance instinctive de l’Angleterre à son propre développement, et la lutte inutile qu’elle engage avec elle-même pour se contenir dans des limites qu’il ne dépend pas de sa volonté de poser. En 1793, le parlement déclare solennellement que « tout projet de conquête et d’extension de territoire dans l’Inde est contraire au désir, à l’honneur et à la politique de la nation[1]. » Quand, en 1834, shah Soudja tente de reprendre son royaume, et demande des secours au gouvernement de l’Inde, lord William Bentinck lui répond : « Je crois de mon devoir de vous déclarer formellement que le gouvernement britannique s’abstient religieusement d’intervenir dans les affaires de ses

  1. Stat. 33. Georges III, c. 52, § 42.