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La bataille eut lieu dans la plaine de Simla, près de Gundamuk. Soudja avait une armée dix fois plus nombreuse que celle de son adversaire, et il se croyait si sûr de la victoire, qu’il avait apporté avec lui ses joyaux et ses richesses, qui tombèrent au pouvoir du vainqueur. Le roi détrôné erra pendant longtemps de province en province jusqu’au moment où il se réfugia chez les Anglais.

Feth-Khan mit Mahmoud sur le trône et régna sous son nom. Il rendit un instant tout son lustre à la monarchie afghane, reprit Cachemir, qui était resté au pouvoir du visir de Soudja, força les émirs du Sindy à payer leur ancien tribut, et repoussa les attaques des Persans contre Hérat. Le vizir, véritable maire du palais, dirigeait toutes les affaires du royaume pendant que Mahmoud passait sa vie dans son harem. C’était bien le temps,

........ Cet heureux temps
Où les rois s’honoraient du nom de fainéans,
....................
Laissaient leur sceptre aux mains ou d’un maire ou d’un comte ;
Aucun soin n’approchait de leur paisible cour,
On reposait la nuit, on dormait tout le jour ;
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Caboul le monarque indolent.

Le chef puissant des Barukzis avait dix-huit frères, tous dévoués, tous énergiquement trempés. Dost-Mohammed, qui fut depuis roi de Caboul, était de cette vaillante légion. Quand le vizir eut, en 1811, une entrevue avec Runjet-Singh, il y parut avec ses dix-huit frères. Quelques-uns d’entre eux lui conseillaient fortement de massacrer le roi de Lahore pendant la conférence ; mais Feth-Khan avait alors besoin des Seiks pour reconquérir Cachemir, et il s’opposa à ce projet désespéré. Exerçant véritablement la souveraineté, il partagea entre ses frères les gouvernemens des provinces, et la famille des Barukzis se trouva ainsi la maîtresse des destinées de l’Afghanistan.

Ce fut alors que le fils de Mahmoud, Kamram, résolut de délivrer son père de la tutelle de son trop puissant vassal. Il fit saisir Feth-Khan et lui fit crever les yeux. Aussitôt les dix-huit frères Barukzis levèrent l’étendard de la révolte.

« La tragédie qui termina la vie de Feth-Ali Barukzi, dit Burnes, est peut-être sans égale dans les temps modernes. Aveugle et enchaîné, il fut amené à la cour de Mahmoud. Le roi lui reprocha ses crimes et lui enjoignit d’user de son ascendant pour faire rentrer ses frères dans le devoir. Feth-Khan répondit avec calme et courage qu’il n’était plus qu’un pauvre aveugle et ne se mêlait plus des affaires d’état. Mahmoud, irrité, donna le signal de sa mort, et cet infortuné fut impitoyablement coupé en morceaux par les nobles de la cour : ils finirent par lui abattre la tête. Feth-Khan en-