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peut aujourd’hui rappeler sans rire ce malencontreux traité du 15 juillet qui devait consolider l’empire ottoman, pacifier la Syrie, mettre le sceau à l’alliance anglo-russe, raffermir et couvrir de gloire le ministère qui l’avait enfanté ? L’empire ottoman est encore plus faible, plus chancelant qu’il ne l’était avant le traité ; la Syrie, quoi qu’en dise le Moniteur ottoman, n’a jamais été plus malheureuse, plus mécontente, plus agitée ; la sincérité de l’alliance anglo-russe ne paraît dans tout son éclat que sur les bords de l’Indus ; le cabinet whig est tombé en laissant à ses héritiers une succession pleine d’embarras et de périls.

Maltraitées par les Turcs, faiblement protégées par les cabinets européens, blessées dans leurs sentimens les plus chers, livrées aux suggestions perfides d’une foule d’intrigans, les populations de la Syrie ne tarderont pas à reprendre les armes, à se réunir contre les Turcs qui les oppriment toutes également, sauf ensuite à se déchirer entre elles, et à renouveler ces scènes de désolation et de carnage qui sont la honte de la Turquie et de l’Europe à la fois, de la Turquie qui les provoque par une administration déplorable, de l’Europe qui les tolère dans un pays qu’elle a placé sous sa haute protection, et dans les affaires duquel elle est intervenue, non-seulement par ses conseils, mais par ses armes. On devient dans ce cas responsable et du mal qu’on fait et du mal qu’on pourrait prévenir, et qu’on laisse cependant éclater. C’était une dérision, un aveuglement volontaire, que de compter sur la bonne administration et sur les forces des Turcs, pour fonder et maintenir l’ordre et la paix en Syrie. On a dit mille fois que, si des forces européennes pouvaient livrer de nouveau cette province au divan, il était impossible au divan de la ressaisir d’une main ferme et d’y établir une administration raisonnable, administration qu’il ne sait établir nulle part, pas même à Constantinople. Ces avertissemens ont été inutiles ; il y avait parti pris ; on ne voulait pas des observations sensées de la France ; on aurait seulement consenti à nous admettre comme complices d’une entreprise que rien ne justifiait, et dont on s’efforce aujourd’hui d’atténuer par l’action diplomatique les fâcheuses conséquences. Aujourd’hui on ne se passe pas de la coopération du gouvernement français ; on la sollicite au contraire ; on lui demande de se réunir aux principaux signataires du traité du 15 juillet pour ramener, si c’est possible, le gouvernement turc dans les voies de l’équité et de la prudence.

Nous croyons que notre gouvernement ne refuse pas sa coopération à Constantinople ; mais nous espérons peu de toutes ces négociations. Les Turcs ont bien compris que, pour le maintien de la paix du monde, ce que les puissances désirent avant tout dans ce moment, c’est que l’empire ottoman ne soit pas profondément ébranlé, que toute considération d’humanité, de civilisation, de religion, sera sacrifiée à cette pensée politique. Ils savent que dans des vues différentes c’est là la résolution de tous les cabinets, que dès lors on n’oserait, à aucun prix, menacer la Porte d’une intervention armée ; car, si les troubles et les désordres de quelques provinces turques inspirent