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noble institution, un grand nom musical, dont l’autorité impose au dedans comme au dehors. À ce titre, Auber devait succéder à Chérubini, l’auteur de la Muette à l’auteur de Médée. M. Auber entre à la direction du Conservatoire, l’esprit exempt de tout préjugé systématique, libre de toute influence de coterie ; il s’efforcera de tout voir par lui-même, portant son activité sur bien des points négligés par l’illustre vieillard, dont l’âge paralysait souvent les intentions. Tout provisoire va donc cesser. Les études vocales appelleront en premier lieu la sollicitude du nouveau directeur, et nous avons assez de confiance dans le goût éclairé et l’expérience de M. Auber, pour espérer qu’avant peu d’utiles réformes s’accompliront dans cette partie de l’enseignement. La mort de Chérubini a donné l’éveil aux directeurs de l’Opéra-Comique, et la reprise des Deux Journées, qui, du vivant de l’auteur, semblait naguère encore indéfiniment renvoyée, paraît, à l’heure qu’il est, toucher à sa réalisation : rien ne lève les difficultés d’une mise en scène laborieuse comme la mort. Vous aurez beau être un grand musicien, avoir eu cinquante ans, du génie, et fondé votre renommée sur la fortune des théâtres, les obstacles naîtront par milliers dès qu’il s’agira de reprendre un de vos chefs-d’œuvres ; et, pour les remettre au répertoire, on attendra que vous soyez mort. Le succès est comme les corbeaux, il ne s’abat que sur les tombes. — On se demande qui succédera à Chérubini dans le fauteuil laissé vacant à l’Institut. Déjà les ambitions sont en campagne, les deux candidats entre lesquels le scrutin aura, selon toute apparence, à se prononcer, paraissent être M. Onslow et M. Adolphe Adam. M. Onslow, bien que d’un renom moins populaire que l’auteur du Postillon de Lonjumeau, possède cependant des titres plus sérieux aux suffrages de l’Institut. Nous ne rappellerons pas ici ses quatuors et ses quintettes, tous les gens qui s’occupent de musique en France aussi bien qu’en Allemagne admirent la savante clarté et les grandes qualités de style par lesquelles se recommandent ces compositions instrumentales. Quant à M. Zimmermann, l’habile professeur du Conservatoire, nous ne pensons pas qu’il ait de chances, pour cette fois du moins. On a parlé d’une quatrième candidature ; s’il fallait en croire certains journaux, l’auteur de la Symphonie fantastique se mettrait, lui aussi, sur les rangs. La survivance académique de Chérubini à M. Berlioz ! Quel dommage que le malin vieillard, qui s’est tant de fois égayé sur les malencontreuses élucubrations du chantre d’Harold aux montagnes, n’ait pas eu vent de cette outrecuidante fantaisie ! il y avait là de quoi piquer au vif une dernière fois son humeur sarcastique.


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