Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
REVUE DES DEUX MONDES.

sourire d’orgueilleuse joie qui s’épanouit sur le visage des mères glorieuses de leurs enfans ; elle détourna la vue, et, passant sa main sèche et blanche sur le front du bel adolescent, elle dit d’une voix triste :

— La beauté, ma sœur, est un vain et dangereux avantage dont il ne faut féliciter personne.

— Eh ! ma chère Cécile, que dites-vous là ? interrompit Mme Godefroi en souriant ; vous ne pensiez pas ainsi jadis, vous étiez un peu vaine de votre beauté, et votre petit cœur s’épanouissait quand notre oncle le commandeur vous appelait le lis de la Provence.

— Hélas ! depuis long-temps j’ai reconnu le néant de ces vanités, le danger de ces frivoles avantages.

— Oui, depuis que vous êtes devenue dévote. Ah ! ma sœur, malgré votre réserve, vos lettres m’ont tout dit.

Mme de Blanquefort fit un mouvement, le sang remonta à ses joues et répandit sur son visage comme une lueur passagère ; elle avait intérieurement tressailli, mais elle ne répondit pas à ces paroles, qui semblaient un reproche, et elle eut l’air d’attendre que sa sœur achevât d’expliquer sa pensée.

— Ma chère Cécile, reprit affectueusement Mme Godefroi, je ne viens pas ici pour blâmer votre vie et prêcher contre vos croyances ; mais il est des choses, des affaires de famille sur lesquelles j’ai, je crois, le droit de remontrance, et dont je veux vous parler en l’absence de votre mari : c’est pour cela que je suis arrivée quelques heures plus tôt. Oh ! ma sœur, est-ce possible ce que vous m’avez écrit de l’avenir destiné à vos enfans ? Est-il possible qu’un sort si différent les attende et que l’aîné seul soit traité comme votre fils ? Est-il possible que le cadet déshérité, chassé de la maison paternelle, soit enfermé dans un cloître, enseveli vivant dans un habit de moine ? Non, non. Vous avez pour tous deux des entrailles de mère, vous n’y consentirez pas, ma sœur !

Aux premiers mots prononcés par Mme Godefroi, la marquise avait fait signe à son fils de s’éloigner ; personne n’avait pu entendre cet appel à ses sentimens de mère, pourtant elle regardait autour d’elle tremblante et comme épouvantée.

— Ma sœur, je ne puis rien, dit-elle d’une voix éteinte ; ne me parlez plus ainsi.

— Ma pauvre Cécile, vous ne pouvez, vous n’osez défendre la position, les droits de votre enfant. Je l’oserai, moi ; je parlerai au marquis.